Chronique

nOx.3 + Linda Oláh

Inget Nytt.

Rémi Fox (as, fx), Matthieu Naulleau (p), Linda Oláh (voc, elec, fx), Clément Bertrand (voc), Nicolas Fox (dms, fx)

Label / Distribution : Ilona Records

A peine ouvre-t-on la pochette, qu’on sait dans quelle direction on va. Nom de Zeus, Marty ! On retourne en enfance, avec ces photos de bambins qui trahissent l’usage de pellicules et d’un tirage bon marché... Plutôt, on ne l’aurait pas vraiment quittée : Dorian Gray en taille 6 ans, avant l’âge de raison. L’imagination domine. La moindre ombre peut être à la fois un monstre égaré ou la promesse d’un paradis parallèle. Il ne faut pas se fier aux apparences, et l’on s’en aperçoit à mesure que se déroule la belle idylle entre Linda Oláh, la plus parisienne des Suédoises, et nOx.3, le trio des frères Fox (Rémi aux saxophones, et Nicolas à la batterie). C’est l’enfance sans la gaminerie, le rêve amputé des décors plein de sucre et des couleurs pastel. « Mid Descension » est un songe intense, rempli d’éther, une flânerie puissante où le piano de Matthieu Naulleau - un pilier du collectif Loo - soutient la voix de Linda Oláh. La chanteuse est au centre, elle tient la clé des songes dans ses prises de parole démultipliées qui vont du plus léger au plus ténébreux avec un naturel déconcertant et font oublier toutes les machines.

Les anciens songeront aux expériences du début des années 90, qu’on appelait à tort Trip Hop parce qu’il fallait trouver une étiquette à apposer. Le titre, Inget Nytt., « rien de nouveau » en suédois, avec son définitif point final, pourrait leur donner raison. C’est faux. Tout est neuf ici, c’est le fruit bien juteux d’une longue maturation. La démarche d’une génération qui a écouté de tout et ne s’interdit rien, cogne dru quand il le faut dans une orgie de machines (« L’Horizon ») et déploie une caresse charnelle où le saxophone et la voix rivalisent de douceur sur « Amiaman ». Prenons le temps de dissiper les brumes enivrantes de « Radio Edith », certainement l’un des plus profonds de ce disque, où Clément Bertrand, l’auteur des textes, vient poser lui aussi sa voix caverneuse. Laissons-nous gagner par les paroles simples que la scansion d’Oláh fait tambouriner telle une pluie drue. On souligne, entre les notes étouffées du piano préparé et la rocaille de l’alto, une attention méticuleuse aux timbres, à leur contraste, au rebond sur l’écho de machines qui ne prennent jamais le dessus.

On retient son souffle, tant il y a dans cette supposée légèreté, une sensation de bord du précipice. Comme quand on sombre dans le sommeil ou lorsqu’on joue à sauter de bande en bande sur les passages piétons pour éviter de se faire croquer par les crocodiles. Et puis parfois, ça manque d’exploser et Rémi Fox se met à crier avant de laisser son frère redessiner une ligne de crêtes (« Lucid Dream »). Il apparaît que la rencontre entre Linda Oláh et nOx.3 est fortuite. Cela a manifestement créé un monde plein d’entropie que la voix domine par sa capacité à transformer en une seconde tous les climats, pour les couvrir de glace (« Le Baiser ») ou les rendre torrides (« Longtemps »). Il ne s’agit néanmoins pas d’une performance de Linda Oláh avec un backing band. Le trio et la chanteuse investissent un No Man’s Land qu’ils peuplent à l’envi. Inget Nytt. est un disque qui ne laissera personne indifférent, à l’instar de toutes les fragrances capiteuses. On distinguera ceux qui s’abandonnent et d’autres qui résistent. Mais comment résister ?