Chronique

Riccardo Del Fra

Moving People

Riccardo Del Fra (b, comp), Kurt Rosenwinkel (g), Jean Prax (as, ss), Tomasz Dabrowski (tp), Rémi Fox (bs, as), Carl-Henri Morisset (p), Jason Brown (dms).

Label / Distribution : Cristal Records

Retour au premier plan pour Riccardo Del Fra, non seulement en tant que contrebassiste, mais aussi et surtout comme compositeur. Une très bonne nouvelle en provenance de celui qui fut – entre autres faits d’armes – pendant près de neuf ans l’accompagnateur de Chet Baker, à qui il avait d’ailleurs consacré son disque précédent My Chet My Song (2014). Le voici qui revient avec Moving People, à la fois titre de son nouveau disque et d’une splendide composition en deux temps qui en est, en quelque sorte, le point culminant. Ce leader pédagogue – Del Fra est responsable depuis une quinzaine d’années du Département Jazz et Musiques Improvisées au Conservatoire National Supérieur de Musique et Danse de Paris – a choisi de s’entourer d’un sextet du genre enthousiasmant réunissant : les Français Rémi Fox aux saxophones soprano et baryton et Carl-Henri Morisset au piano ; le saxophoniste allemand Jan Prax, le trompettiste polonais Tomasz Dabrowski et le batteur américain Jason Brown auxquels vient s’ajouter sur quelques titres le guitariste américain Kurt Rosenwinkel. Un casting international, comme on le voit, et un fil rouge, celui des peuples en mouvement (ce sont eux, les Moving People), qui un beau jour quittent tout dans l’espoir d’une vie meilleure. Surtout, il y a chez Riccardo Del Fra la volonté de composer en pensant aux musiciens qui l’entourent, dans le but de contribuer à leur épanouissement. L’être humain est ici au cœur du propos et c’est là l’autre sens qu’il faut donner à l’expression Moving People.

On l’aura compris : ce disque donne à entendre une musique en prise directe avec une actualité trop souvent tragique, jusqu’à en devenir figurative en ce qu’elle parvient à suggérer des images la plupart du temps poignantes : un enfant mort sur une plage (« Ressac »), des migrants traversant la mer (« The Sea Behind »), des scènes de guerre (« Children Walking Through a Minefield »)… Avec toujours l’espoir d’accéder un jour à un monde plus serein (« Cieli Sereni »). En cela, le disque est la suite naturelle de Hoffnung, un projet élaboré en 2016 à l’initiative de la Fondation Genshagen de Berlin et dont le thème était celui de l’espoir. On trouvait d’ailleurs déjà Dabrowski, Morisset et Prax aux côtés de Riccardo Del Fra.

Toutes les compositions du disque sont signées par le contrebassiste, qu’on se réjouit de retrouver ici dans ce qu’on pourrait appeler un état de grâce tant la richesse des thèmes, l’exigence de leur construction et le soin apporté à leurs arrangements, la densité des interprétations ne viennent jamais remettre en cause la fluidité d’une musique habitée d’une indéniable force poétique. Celle-ci est servie par une formation dont le lyrisme collectif enlumine les interventions des solistes, tous en grande forme. Parmi ceux-ci, comment ne pas souligner celles, émouvantes et denses, de Kurt Rosenwinkel, qui fait entendre le chant de sa guitare sur quatre titres ?

Publié chez Cristal Records, Moving People se présente sans nul doute comme l’une des plus belles réussites d’un musicien dont la volonté de décloisonnement entre jazz, musique classique et contemporaine est affirmée de longue date. Il nous rappelle avec ce nouveau disque qu’il est d’abord un musicien inspiré et inspirant, de surcroît d’une grande élégance par sa façon d’accorder aux autres toute la place qu’ils méritent.