Chronique

Reut Regev R*Time

Keep Winning

Reut Regev (tb), Jean-Paul Bourelly (g), Mark Peterson (b), Igal Foni (dms, voc)

Label / Distribution : Enja Records

S’il fallait trouver une définition précise à l’expression « Bille en tête » dans toutes les langues du monde, il suffirait sans doute d’emmancher « The Bumpy Way » dans n’importe quelle enceinte et laisser les choses se faire : la batterie d’Igal Foni tient un rythme qui ferait se dandiner une pierre. La guitare de Jean-Paul Bourrely agit comme une boule de flipper entre de multiples bumpers en attendant la claque qui va le remettre dans le jeu. C’est peut-être la comptine de la fille du couple Regev/Foni qui en est le déclencheur, puisque cet orchestre est familial. Au dessus plane Reut Regev [1], tromboniste turbulente et joyeuse qui mène depuis des années son quartet R*Time dans des mélanges subtils de complexité et et d’explosivité avec une joie communicative ; le bien nommé « With a Smiling Voice » en est le parfait exemple. Avec un thème simple, qui tournoie de l’un à l’autre des artistes, bien porté par la contrebasse de Mark Peterson, R*Time ressemble à une explosion de joie qui prend parfois de la distance, tant dans les effets de la guitare que dans tous les jeux de coulisses de Regev, qui impressionne par sa maîtrise. Toutes les ruptures sont possibles ; elles peuvent être inattendues. Elle le doivent même, pour mieux relancer la machine.

Ce n’est pas anodin si juste après ce morceau, le quartet reprend « War Orphans » d’Ornette Coleman avec un dialogue magnifique entre la guitare et le trombone. Le trop rare Bourelly abandonne son tropisme funk pour crier des larmes de rage que Regev tente d’apaiser. Les deux voix de l’orchestre laissent alors la place à la mélancolie de la base rythmique : le jeu de Peterson est plein gravité et de retenue ; au loin, Foni fait tonner la mitraille avant que le trombone revienne à l’assaut. C’est à la fois un titre un peu à part dans Keep Winning, ce nouvel album, et à la fois un pivot. Car si c’est le seul qui ne soit pas signé par Regev, il induit un ancrage dans le réel, qui rappelle que Keep Winning est tout sauf une tournerie espiègle, quels que soient ses atours. « Beware of Sleeping Waters » peut bien commencer avec une nervosité inouïe et se lancer dans une ronde finale un peu folle... L’équilibre trouvé par le trombone permet toujours d’ouvrir d’autres chemins possibles dans lesquelles le quartet ne demande qu’à s’engouffrer.

Ce disque reflète largement l’incroyable personnalité de la tromboniste. Elle touche à de nombreux genres, se frotte à autant de musiciens et continue à garder une ligne droite qui se nourrit de tout cela. Lors d’un récent interview, Michael Attias nous parlait de Credo qu’il avait enregistré avec le couple Regev/Foni. La jeune femme a également travaillé longtemps avec Anthony Braxton et le retrouve parfois dans le Sonic Genome, participant au mythique 12+1tet du début des années 2000. On la retrouve également à New-York où elle est établie dans le Metropolitan Klezmer ou avec l’étonnant Hazmat Modine. Une touche à tout talentueuse dont la coulisse se place exactement où elle veut sans jamais faire de fausse notes et dont le R*Time est la position centrale. Bille en tête, donc, et pavillon en étendard.