Chronique

Séverine Morfin

Mad Maple

Séverine Morfin (vla, fx), Élodie Pasquier (cla, fx), Guillaume Magne (g, bnj), Céline Grangey (elec, fx)

Label / Distribution : Garden Records

C’est une forme de haïku, ou peu s’en faut, que constitue Mad Maple, l’orchestre que Séverine Morfin avait lancé quelque temps avant le COVID, comme elle nous le racontait dans une ancienne interview. On pressentait l’œuvre ambitieuse ; elle touche au plus profond, l’alto de Morfin sondant les consciences autant que les sensations. « À l’aube, dans la forêt, les murmures s’évanouissent, glacés avant la tempête ». Une ode organique où l’ingénieure du son Céline Grangey prend une place centrale, jouant avec les climats et la spatialisation pour nous plonger dans un rêve étrange et dérangeant, comme cette forêt où la clarinette basse si caressante d’Élodie Pasquier doit faire face à un orage lancinant, indifférent aux éléments. Plus loin c’est la guitare ardente de Guillaume Magne qui met tous ces sons à l’épreuve, dans une suite où le rêve est omniprésent.

Voici quelques mois que toute la science du son de Céline Grangey s’associe pleinement à des projets artistiques. C’était le cas avec Lila Bazooka ou encore aux côtés d’Alexandra Grimal ; cela prend ici une forme plus abstraite mais tout aussi poétique : la volonté de Séverine Morfin, qui signe toutes les compositions de cet album très court à l’ombre de l’érable fou, c’est de parler du dérèglement climatique et de l’illustrer jusque dans la chair des instruments. Dans « Tempête », alors qu’un traitement du son aussi dense et imprévisible qu’un cataclysme de sable, l’archet de Morfin est un fil d’Ariane que Pasquier suit fidèlement alors que Magne s’en défie lentement ; une opposition des styles qui coupe court à tout climat tempéré. Ici, la nature peut paraître hostile : elle est surtout aride et voit pousser des fleurs magnifiques dans les effets de Céline Grangey ou la cascade électrique de la guitare. L’arrivée de Guillaume Magne dans Mad Maple est tout à fait déterminant. C’est le liant idéal entre Morfin et Pasquier dans « Aube », qui ouvre l’album comme les brumes se dissipent. Pareillement à son rôle dans You, il est l’élément terrestre, tellurique dans une formation par ailleurs assez évanescente.

Séverine Morfin et son jeu avide des profondeurs dessinent un monde fragile mais parfait, que le boisé de la clarinette peuple en harmonie. Au fur et à mesure que la guitare l’érode, ou que le son est travaillé telle une intempérie, cet univers se délite, une poussière ou du sable qui retomberait en pluie vers le silence. Avec un parti pris très sensible, Mad Maple capte un instant, une photographie forcément impermanente et qui va s’évaporer ou plutôt redevenir humus, comme les feuilles qui tombent à l’automne. Déjà avec Three Days of Forest, Séverine Morfin nous avait accoutumés à une forme brute qui ne demandait qu’à être sculptée. Ici, entre la clarinette basse et le violon alto, deux instruments proches de la voix humaine, ce sont des sensations plus incarnées qui sont recherchées, nous interpellent et nous touchent intimement. Il fait bon être sous la frondaison de ce Mad Maple, quel que soit le temps, du déluge à la canicule.