Chronique

Alexandra Grimal

Refuge

Alexandra Grimal (ss)

Label / Distribution : Relative Pitch

On pensait qu’Alexandra Grimal était la musicienne des duos. Non qu’elle ne s’épanouisse pas dans les formations plus larges et les projets qui ne ressemblent à nul autre, mais de Giovanni Di Domenico à Joëlle Léandre ou Lynn Cassiers, il semblait que la saxophoniste avait besoin de l’autre, d’une réponse ou d’un écho. Et voici pourtant Refuge, le premier solo d’Alexandra. À moins que ce ne soit encore un nouveau duo ; l’altérité n’est pas fantomatique. Elle s’incarne dans la science de l’ingénieure du son Céline Grangey, qui fait ici des miracles. Dans « 1 » (le disque s’articule en six parties), le soprano de Grimal semble toujours en mouvement : un oiseau dans les branches, une parabole de liberté qui répond à l’écho, à la fois subtil et omniprésent. Alexandra Grimal occupe l’espace ; il est solide et massif, mais elle l’apprivoise à merveille.
 
Il faut dire que le lieu se prête à l’exercice et qu’encore une fois, c’est une gageure pour Céline Grangey. Installées dans le célébrissime escalier à double révolution du château de Chambord, les deux artistes en investissent chaque parement de marbre, comme sur « 4 » où la saxophoniste lance des notes puissantes et esseulées qui viennent briser la masse brute du silence, ou encore avec « 6 », où c’est au contraire un murmure, comme un nuage qui s’évapore, une brume qui se dissipe, un retour au réel. On pense à ce que Samuel Blaser avait pu proposer dans ses Monologues élastiques, lorsqu’il avait pris possession du Funkhaus de Berlin. Ici, l’espace de Grimal ne cherche pas le gigantisme, et le dialogue des pierres est différent. Dans « 2 », le saxophone avance à petits pas, marche par marche, sans Giant Steps, et s’impose finalement et sans heurt face à un silence érodé, transformé, comme ce marbre qui abandonne toute froideur pour résonner en sympathie avec la puissante note tenue.

Chaque solo de saxophone dit beaucoup de son auteur, de sa technique, de son rapport à l’instrument. On sait Alexandra Grimal proche de la nature, attentive au moindre geste et fascinée par les vents, surtout s’ils sont chauds. Refuge n’est pas une démonstration érudite : c’est une déambulation impressionniste qui agit par vagues qui se retirent et submergent, s’engouffrent (« 3 ») dans le précieux escalier imaginé par Léonard de Vinci qui s’avère une belle base pour la musique créée par Alexandra Grimal. Une musique qui lui ressemble, intrinsèquement.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 septembre 2022
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