Chronique

Yves Rousseau

Alter Ego

Yves Rousseau (b, comp), Oua-Anou Diarra (fl, perc, n’goni, voc), Jean Deroyer (dir) + Orchestre Régional de Normandie.

Label / Distribution : MCO

On ne saurait caractériser l’univers créatif d’Yves Rousseau qu’en soulignant la grande diversité des courants qui traversent son parcours musical. On connaît sa passion pour la poésie, celle de Léo Ferré (Poète, vos papiers !) comme de François Cheng (Murmures) ; on l’a découvert amoureux de la musique de Franz Schubert (Wanderer Septet) tout autant que du rock progressif de ses années d’adolescence (Fragments). On sait aussi quel contrebassiste pétri de jazz il est, jusqu’à ses formes les plus exploratoires (Akasha), en leader ou aux côtés de quelques-uns de ses pairs (Spirit Dance avec Christophe Marguet, ou bien encore Bertrand Renaudin, Hervé Sellin, Franck Tortiller, Jean-Marc Padovani…). Un chemin harmonieux, sans faute, marqué à chaque étape par une grande élégance formelle et un engagement humain.

Alter Ego ne déroge pas à cette règle qui veut que, chez Yves Rousseau, les frontières n’existent que dans les esprits étriqués et dépourvus d’imagination. Ce beau projet est à l’origine une commande passée par l’Orchestre Régional de Normandie, [1] sous la direction musicale de Jean Deroyer. Avec pour idée, une fois encore, de brasser des univers qu’on peut penser difficiles à unifier, tant leurs origines – géographiques comme culturelles – paraissent éloignées. Ici, les couleurs orchestrales (douze cordes et cinq vents) vont devoir se marier à celles des flûtes peules, des percussions, du n’goni (une guitare basse traditionnelle malienne) et au chant d’Oua-Anou Diarra, musicien burkinabé vivant en Normandie. Le contrebassiste a composé une œuvre en sept parties durant l’année 2019 et c’est l’aboutissement de ce travail qui a fait l’objet d’un enregistrement en mai 2021 au Théâtre de la Renaissance. On peut l’écouter aujourd’hui grâce à la complicité de Franck Tortiller sur le label duquel (MCO) cet album a pu voir le jour.

Il était question, un peu plus haut, d’un sans-faute et d’élégance : ces qualificatifs sont plus que jamais ceux qui définissent Alter Ego. Tout semble ici couler de source dans cette alliance harmonieuse entre musique traditionnelle d’Afrique et musique « classique » d’Europe. L’Orchestre Régional de Normandie, souple et félin (qu’on nous pardonne ce qualificatif), tisse des nuances qui jamais ne semblent plaquées sur le jeu d’Oua-Anou Diarra, d’une grande sensibilité. Celui-ci fait corps avec sa musique, ce qu’on ressent particulièrement lorsqu’il joue de la flûte et chante en même temps. Deux mondes cohabitent dans la parité et s’élèvent en même temps. Les sept chapitres d’Alter Ego sont articulés en séquences courtes qui s’enchaînent dans une forme d’allégresse et de douceur qui est celle d’une fraternité retrouvée. Jusqu’à une magnifique improvisation partagée entre le chant et la flûte d’Oua-Anou Diarra et deux musiciens de l’orchestre (Florian Maviel, violon et Cédric Catrisse, alto) sur « Kolokènèya ». Il y a dans cette musique beaucoup de sourire, de tendresse même. C’est là tout le sens de cette composition d’Yves Rousseau, une heure enchantée qui est le prolongement naturel de ses précédentes expériences, mais cette fois dans une esthétique aux couleurs classiques et impressionnistes. S’ouvrir au monde, aux autres, tendre les bras, être vivant, tout simplement. C’est cela, Alter Ego, la richesse de l’Autre.

par Denis Desassis // Publié le 20 février 2022
P.-S. :

[1Dont le directeur général est aujourd’hui Pierre-François Roussillon.