Chronique

Camila Nebbia

Una ofrenda a la ausencia

Camila Nebbia (ts, voc, fx).

Label / Distribution : Relative Pitch

Phénomène découvert en Europe peu de temps avant sa venue en France [1] et en Allemagne où elle réside désormais occasionnellement, la saxophoniste argentine Camila Nebbia ne cesse de proposer de nouvelles œuvres, bien souvent collectives ou duales, où son jeu vindicatif et volontiers nerveux trouve largement écho. Pour remonter à un solo, il faut revenir aux premières années et De Este Lado, paru à la toute fin de l’année 2019. Son statut en Europe a changé. Mélange de saxophone et de poésie [2], Una ofrenda a la ausencia, second solo paru à la fin de l’été, est dans la droite ligne du premier, avec quelques évolutions cependant, qui soulignent la grande maturité de la saxophoniste. Uniquement au ténor, le jeu nerveux de Camila Nebbia va a l’essentiel, sculpte le discours comme on l’entend sur « Irse ». L’interprétation est véloce, pugnace, mais toujours empreinte d’une émotion à fleur de peau quoique toujours très maîtrisée.
 
La formule très courte des morceaux permet d’exacerber ce sentiment d’urgence. Les précipités de Camila Nebbia ne sont cependant pas des cris de colère : avec des morceaux comme « Ríos que se cruzan », on retrouve au contraire les remous électroniques et le re-recording qui ont nourri son remarquable quartet. Plus loin avec « Devisio », le ténor agit comme des voix intérieures qui s’entrechoquent et s’étreignent. On le sait grâce au reste de sa discographie, Camila Nebbia n’oblitère pas les zones d’ombre : elle les creuse et les ajoure, elle jette sur elles une lumière crue sans jamais transiger ; c’est le sujet du puissant « Ofrenda al vacío » qui clôt l’album de manière tourmentée. Si le saxophone se jette dans ces remous, c’est pour mieux les dompter. Il ne s’agit ni de les lisser, ni de les éteindre ; au contraire, d’organiser une forme de chaos.
 
Il en est de même pour « Todo se borra » (tout s’efface) qui ouvre l’album sur un terrain vierge et fertile où l’Argentine vient semer ses herbes indomptables en faisant siffler ses anches. Les deux morceaux forment comme une sorte de boucle cabossée, qui circonscrivent le sujet de l’absence et du deuil, véritable thème d’un solo d’une grande richesse. Una ofrenda a la ausencia offre une vision personnelle et écorchée d’un sentiment universel dont « La función del olvido », où elle chuchote l’un de ses textes, est un sommet plein d’émotion.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 novembre 2023
P.-S. :

[1Citizen Jazz était aux avant-postes.

[2Nebbia est une artiste sans frontières à tous les niveaux, géographique et disciplinaire : elle écrit et photographie.