Entretien

Fred Pallem (1)

bassiste, compositeur, chef d’orchestre à la tête d’une des formations les plus innovantes qui soient.

A la tête de son Sacre du Tympan, Fred Pallem nous a semblé assez emblématique de la nouvelle génération issue de la classe de jazz du Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Interview sans langue de bois lors de la Fête des Jazz.

- A quatorze ans, tu débutes la guitare. A quinze ans tu décides de passer à la basse. Pourquoi ?

Je repiquais des chansons. Je jouais tout seul. Très vite j’ai joué avec des groupes dans des caves. Depuis tout môme je fais du dessin. Dans ma famille il n’y a aucun musicien, ils sont tous dans le milieu du dessin. J’a fait l’école Boule. J’ai commencé à bosser comme graphiste free-lance et parallèlement je faisais de la contrebasse depuis l’âge de 18 ans. Je voulais jouer un instrument grave, soit du tuba, soit de la contrebasse. Tout dépendait de l’occasion que je trouverai. Et je suis tombé sur une super occasion, c’était une contrebasse.

J’ai toujours écouté beaucoup de musique depuis tout petit, mais il n’y avait pas beaucoup de disques de jazz à la maison. Quand j’étais môme, j’étais baigné dans Gainsbourg. Après j’ai découvert chez des copains des disques de rock. J’étais beaucoup Chicago, Genesis… Avec quelques copains, notre passion c’était d’aller le week-end chez le disquaire, on y passait la journée et je revenais avec des vinyles. J’achetais tous les Genesis et la semaine d’après je revenais avec tous les Rolling Stones. En un an, je me suis tapé tous les grands trucs du rock. Et puis, c’était dix francs le vinyle. Par exemple, les onze premiers albums de Chicago sont super, alors je les ai acheté.

J’ai essayé de repiquer deux, trois trucs. Mais j’apprenais tout seul la guitare, dans mon coin, la basse aussi d’ailleurs. A 15 ans je suis tombé sur un disque de Pastorius, comme tous les bassistes. D’ailleurs je l’ai racheté trois fois, deux en vinyle et une fois en CD.

- Tu n’avais pas entendu parler avant de Weather Report, qui était un peu plus connu ?

En fait, j’allais souvent chez mon parrain et c’est lui qui avait tous les disques. Le week-end, quand on allait manger chez lui, la première chose que je faisais c’était d’aller voir ses vinyles. Lorsque l’on partait je lui en piquais quelques-uns. Un jour, je suis tombé sur le premier album de Pastorius où il joue « Donna Lee ». Je ne savais pas ce que c’était, je trouvais ça bizarre. Je me suis dit : « Mais qu’est ce que c’est que ce truc, bon allez, je vais le prendre ! ». Je n’étais pas branché jazz du tout, mais j’ai trouvé ça vraiment bien. Et j’ai repiqué le disque dans tous les sens.

En même temps, j’étais au lycée et je commençais à me rendre compte que la musique me plaisait vraiment. J’avais un super prof de musique qui nous faisait découvrir le jazz. J’écoutais beaucoup de rock, mais je me disais que dans le jazz il devait y avoir quelque chose de bon pour moi. Alors j’ai essayé de m’y intéresser.

Il nous donnait des noms de musiciens – Monk, Mingus,… - et puis quand j’allais acheter mes disques, j’en prenais un des ces musiciens. Le premier disque de jazz que je me suis acheté c’est « Thelonious Monk solo in San Francisco ». Je l’ai écouté et ça ne m’a vraiment pas plu. « Tous les morceaux se ressemblent, je n’y comprends rien ». Alors je consulte mon bouquin des enfants du rock pour trouver le disque conseillé en jazz : « Bitches Brew » de Miles Davis. Je vais l’acheter, j’écoute : « Mais, qu’est ce que c’est que cette merde ! ». Je l’ai réécouté cinq ans après et maintenant c’est un de mes disques préférés.

J’avais adoré un disque de Jeff Beck « Wired » où il joue « Goodbye Pork Pie Hat ». J’ai voulu trouver la version originale et je suis tombé sur le disque de Mingus « Ah Um », un des premiers disques que j’ai aimé, à tel point que j’ai tout relevé.

- Jusqu’à présent, tu ne nous as pas parlé de professeur.

Je n’ai pas eu de prof, j’ai tout appris tout seul. J’ai découvert le jazz petit à petit et le jazz acoustique a commencé à me plaire. Un jour j’ai découvert les disques Blue Note et j’ai trouvé ça super.

- Actuellement, est-ce que tu joues toujours de la basse électrique ?

Oui, je joue de la fretless, la même que Jaco [Pastorius]. J’en avais marre d’entendre tout le monde jouer comme Pastorius. Je me suis dit qu’il ne fallait pas que je fasse ça, que c’était trop bien. Et puis ce n’est pas un bassiste ce gars-là. Pastorius c’est Pastorius.

- Ce n’est pas un bassiste ou ce n’est pas qu’un bassiste ?

Pour moi, ce n’est pas un bassiste, c’est Pastorius ! C’est comme Charlie Haden, ce n’est pas un contrebassiste, c’est Charlie Haden ! Ce sont des musiciens qu’il ne faut pas copier. Ils ont des trucs tellement à eux. Charlie Haden prend la basse n’importe comment, avec trois doigts, c’est absolument génial. Je me suis vite rendu compte que pour trouver sa voie il fallait faire gaffe de ne pas vouloir faire trop comme eux. Un jour j’ai revendu ma fretless pour acheter une contrebasse. Cela faisait longtemps que je voulais faire comme Mingus.

- A partir de ce moment là, tu t’intéresses beaucoup plus au jazz acoustique.

Le jour où j’ai acheté la contrebasse, j’ai été fou. Je bossais comme graphiste et j’attendais impatiemment de rentrer chez moi pour en jouer. Je cherchais à rencontrer des gens. Quelques années auparavant, j’avais cherché à rencontrer des musiciens. Je m’étais inscrit sur une liste par minitel. Et un jour, un amateur m’a appelé et de fil en aiguille c’est venu comme ça.

- Jusqu’à ce moment là, tu relevais et tu jouais avec des disques ?

J’avais appris les accords, regardé des bouquins. Et un jour, je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne le solfège. Alors pour l’apprendre, je recopiais le Real Book pour apprendre à faire les notes. Plus tard j’ai pris des cassettes de dictées musicales. J’ai commencé à jouer des standards et j’ai accepté toutes les propositions. Et puis un jour, j’ai commencé à écrire un peu de musique. Je me suis passionné pour le relevé et j’ai eu envie de les noter sur papier, tous les instruments. Et j’ai relevé des disques entiers : Ah Um de Mingus, Blues & Roots, The Prisoner d’Herbie Hancock, beaucoup de sextets et surtout Booker Little. Des thèmes de Dolphy, d’Ornette Coleman. Je ne faisais que ça. Et cette furie du relevé a duré quelques années. Des chorus ? Oui, mais pas tant que ça. Ce qui m’intéressait, c’était de savoir comment ça se passe à tel ou tel endroit.

- Etait-ce une démarche purement analytique ou désirais-tu avoir un matériau de base ?

Je voulais comprendre ce que faisait le compositeur. Je ne savais pas si je pouvais le réutiliser. Je voulais juste comprendre. Je ne composais pas de musique à l’époque. Mes seules compositions concernaient le dessin. A un moment j’ai ressenti avec la musique la même chose que lorsque je dessinais, les mêmes histoires de mélanges. Puis j’ai décidé d’arrêter mon travail et pendant deux années je n’ai fait que de la musique. J’avais vingt ans et j’ai arrêté le dessin du jour au lendemain.

Je traînais souvent à l’IACP. J’ai vu qu’il y avait François Théberge et on m’avait dit qu’il donnait de très bon cours d’arrangement. J’ai donc décidé de prendre des cours avec lui. Je vais pour m’inscrire et on me répond que l’année se finit et que l’année prochaine il enseigne au Conservatoire National Supérieur de Musique. Je m’inscrit donc au concours du CNSM dans le but de faire de l’arrangement et non de la contrebasse. Lorsque j’ai réussi le concours, on m’a demandé les raisons pour lesquelles je m’étais inscrit. J’ai répondu d’abord pour Théberge et deuxièmement parce que c’était gratuit. Mais le truc en plus, c’est d’avoir rencontré Jenny Clark.