Entretien

Fred Pallem (2)

Suite et fin de l’interview de Fred Pallem. Le Sacre du Tympan vient d’enregistrer en public le vendredi 21 septembre au Centre Paul Baillart de Massy. Espérons trouver la galette bien vite dans les bacs des disquaires !

- Le connaissais-tu auparavant ?

Non. J’avais écouté un peu ses disques, mais ça ne me plaisait pas, c’était trop sérieux. Je n’aime pas le trio avec Khün. Jean-François joue comme une bête, Humair joue terrible, mais la musique ne me touche pas. Mais je n’étais pas venu pour lui et puis j’ai découvert l’homme. Le premier cours, les anciens élèves étaient absents et je suis resté deux heures seul avec lui. Il me demande ce que je veux jouer. Je lui dit « Whims of Chambers ». Il m’a répondu qu’on allait tout reprendre à zéro. C’est le seul prof de basse que j’ai jamais eu, avec Riccardo Del Fra. J’ai rencontré aussi Bruno Chevillon l’année dernière. C’est un grand. Sans l’écouter, tu le regardes jouer, c’est beau.

Ce que j’aimais bien chez J. F., c’est qu’il s’intéressait vraiment à l’élève. Il n’était pas là pour se faire mousser. Aujourd’hui, il est mort et je ne vais pas l’encenser, mais s’il était là je dirais la même chose. Il y avait des trucs chez lui, des choix de musique que je n’aimais pas. Il n’aimait pas l’humour en musique, il fallait que ce soit tragique, je peux comprendre. Moi j’aime bien l’humour, mais il ne m’en a jamais tenu rigueur, il respectait le truc. Il ne disait jamais « c’est ça qu’il faut faire, ça c’est meilleur ». Il nous montrait nos défauts mais surtout nos qualités. Il n’aimait pas les gens misérabilistes, qui disent qu’ils sont nuls. C’est le seul prof qui est venu me voir un jour et m’a demandé si ça allait. Il m’a dit « qu’est ce que tu fais en ce moment, tu bosses ? Qu’est ce que tu fais demain matin, rien ? Passe à la maison vers dix heures. » Je me pointe chez lui vers dix heures avec ma basse. Il ouvre en chaussons et peignoir, me demande si je veux du thé ou du café. On discute pendant deux heures, on joue un petit peu. Il était vraiment intéressé par ses élèves. Tout ce que j’ai appris au CNSM je le savais déjà mais avec Théberge j’ai tout mis dans des tiroirs.

Le truc qui est bien au CNSM, c’est lorsqu’on écrit un arrangement, que ce soit pour quatuor ou big band, les musiciens sont devant toi. Le plus important dans l’arrangement c’est d’entendre les instruments. C’est le seul endroit où tu peux arriver avec un arrangement de big band toutes les semaines. Je commençais à écrire des morceaux pour les projets du conservatoire. Et puis tout le monde me disait « il faut que tu montes un orchestre ». Je ne me sentais pas d’attaque. Et un jour c’est venu.

- Suite à quoi ?

Un déclic personnel.

- Comptais-tu construire quelque chose de nouveau ou réutiliser ce que tu avais déjà fait ?

Quelque chose de nouveau. J’ai monté mon projet. Tous les gars du CNSM me disaient « le jour où tu montes quelque chose, tu penses à moi ». Je n’ai pas eu à faire de casting, ça s’est fait tout seul. Je m’étais dit que j’aimerais telle orchestration.

- Avais-tu déjà un répertoire ?

Peu. Mais ça progresse. Au début j’étais très influencé par Tim Berne, Django Bates. Et là c’est fini.

- C’est à dire que tu es influencé par Fred Pallem ?

Non, ce n’est pas ça. Je suis influencé de partout. En ce moment j’écoute beaucoup Ennio Moriconne.

- Arrivez vous à jouer ?

C’est la première année où il y a des concerts. Nous avons fait le concours de la défense l’an dernier.

- Tu joues aussi avec la troupe de théâtre Phœnix. Composes-tu pour la troupe ?

Oui, j’ai composé des chansons pour la nuit des rois de Shakespeare. J’écris des chansons pas trop dures à chanter pour les acteurs. Je suis impatient de faire la prochaine création qui sera peut être sur Victor Hugo ou Brecht. Le monde du théâtre m’apporte beaucoup - par rapport à la vie. Le cercle des musiciens de jazz m’a très vite saoulé. Le trip on va se bourrer la gueule, on fait le bœuf jusqu’à l’aube, les filles, il y a un côté beauf que je ne supporte pas. D’être avec les gens du théâtre m’a donné le goût du spectacle.

- Comment retranscrits-tu le coté scène avec le Sacre du Tympan ?

Essayer de cadrer les morceaux comme s’il y avait une histoire, essayer de créer la surprise pour l’auditeur.

- Quel rapport entretiens-tu avec la musique contemporaine ?

Il y a quelques temps, j’ai découvert Charles Ives. Il y a plein de surprises, d’humour. Bill Carrothers adore aussi, d’ailleurs cela s’entend dans sa musique au niveau des accords. Quand j’écris de la musique il faut qu’il y ait une histoire. Cela m’aide. J’écris l’histoire du morceau avec des mots.

- Un vrai synopsis en somme.

Oui, une espèce de brainstorming.

- Entends-tu une couleur musicale en fonction du mot ?

Oui, c’est ça. Des fois il y a une histoire, des fois des mots.

- Comment s’intègrent tes solistes là dedans ? Leur expliques-tu l’histoire avant ?

Ca arrive. Mais il y a des morceaux qui n’ont pas d’histoire parfois. L’esprit général d’un morceau est suscité par un feeling, par une idée qui n’est pas musicale. J’avais écrit un thème par exemple « Tu es belle, tu sens bon » qui est dans l’esprit de Monk qui parle de types qui essaient de faire des déclarations amoureuses et qui n’y arrivent pas, qui sont maladroits. Il y a un côté un peu peau de bananes. Il y a des morceaux où il n’y a pas besoin d’expliquer par exemple « Une de perdue, une de perdue » qui est une ballade.

- Quel est ton rapport avec le public par rapport à cela ?

Je leur explique aussi, parfois.

- Quel est votre répertoire actuellement ?

Nous possédons une quinzaine de thèmes. Il y a des morceaux très longs, d’environ un quart d’heure. Mais je vais ramener la musique à des choses beaucoup plus courte.

- Pourquoi ?

J’ai envie de travailler là dessus, un côté chanson, une espace de format de cinq minutes, que l’on retrouve dans les vieux Duke Ellington. Pendant très longtemps je ne faisais pas attention à la durée en écrivant. Et puis c’est bien pour le public, pour qu’il ne s’ennuie pas trop. C’est délicat, parce qu’il faut aussi se faire plaisir.

- Au début, tu nous as dit qu’il devait y avoir quelques choses de bon pour toi dans le jazz. L’as-tu trouvé ?

Je me suis rendu compte qu’il y a du bon et du mauvais dans toutes les musiques.

Des scènes nationales, un disque à la rentrée.

- D’où vient le nom du Sacre du Tympan ?

Serge Rosenberg (tp) m’a dit que le jour où je monterai un big band, il voudrait y être. Malheureusement il est tombé très malade, mais il m’avait dit : « tu l’appelleras le Sacre du Tympan » par Pierre Boulecaisse et son orchestre inter-contemplurien". J’ai trouvé ça sympa.