Portrait

George Brown

par Michel Golberg


par Michel Goldberg

J’ai connu George à son arrivée en France (milieu des années 70)…

Un jour où je faisais la manche avec un petit orchestre place Saint-Michel, un gus noir américain à l’allure pas possible s’approche de nous. Il nous débite son CV (photos à l’appui)… En 20 secondes, on en avait plein les oreilles : Sonny Rollins, Wes Montgomery, etc. De quoi impressionner des poussins du jazz que nous étions (et - au demeurant - suffisant pour calmer n’importe quel musicien aguerri).

Sa batterie était dans une consigne de l’aéroport et il n’avait plus de sous pour la payer (ça signe le personnage). On l’a bien entendu aidé : dès le lendemain on était auprès de lui (une idole, un extraterrestre était venu nous rendre visite…).

Il a commencé à chercher du travail en notre compagnie. On en a rapidement trouvé (beaucoup plus facile à l’époque) : un gig tous les jours pendant plus d’un an dans une petite crêperie de la place du Tertre et d’autres concerts ici et là.

Georges était un travailleur inlassable : on finissait à 4 du mat’ et lui (beaucoup plus que nous !) voulait répéter chaque jour (dès le matin on se retrouvait devant la Fac de Jussieu où il suffisait de trouver un amphi de libre… Georges appelait Jussieu « Jazzoo ».

En fait Georges m’a TOUT appris. sans jamais donner un docte conseil (pas comme on fait maintenant). Non. quand on avait fini un morceau il était capable de me fusiller du regard (sans me dire pourquoi) ou de me serrer dans ses bras à la fin d’un set (sans explication). Je suppose qu’il s’agissait d’une pédagogie subliminale où il fallait que je devine la cause de ses réactions dans la mémoire de mon propre jeu.

Il affectionnait les proverbes surréalistes : « Never eat bugs Bunny » (sans doute traduire : il n’y a pas de quoi fouetter un chat ?). Ou plus pragmatiques : « Time is not a magazine » (jeu de mot entre time = rythme et le magazine américain Time).

Il était à la fois d’une sensibilité rare (il pleurait très facilement d’émotion) et un oiseau de nuit à la lisière de la vie en société - société qui n’a jamais eu de place pour les artistes s’éloignant des routes bien tracées. Ce qui pourrait expliquer sa faible notoriété.

Il fut à mon avis - comme Oliver Johnson, Al levitt et bien sûr Kenny Clarke - un des grands batteurs américains ayant vécu en France (à mon sens, je n’ai jamais rejoué du moins régulièrement avec un batteur possédant un tel ride, une telle musicalité et un tel swing).

Par ailleurs, il était politiquement fort engagé (ce qui est maintenant rarissime chez les musiciens de jazz) ; aux US il militait activement pour les droits civiques des Afro-américains (ce qui n’est sans doute pas étranger à son séjour quelque peu forcé dans notre pays).

Il incarnait vraiment le jazz. Il nous manque et il nous manquera.

par // Publié le 1er septembre 2007