Chronique

Issam Krimi

Barbara Piano Solo

Issam Krimi (p)

Label / Distribution : Bee Jazz

Au premier abord, le choix de reprendre au piano, en solitaire, certains des titres les plus personnels et les plus chargés de spleen de Barbara, peut surprendre. L’absence éternelle de la grande dame rend cet exercice proche de la gageure, et pourrait sembler facile, voire opportuniste.
Ce serait sans compter sur le talent et la vision très libre, personnelle et créative du jeune pianiste qui livre ici un album en forme d’hommage transgressif, peuplé par les ombres et les fantômes de la dame en noir, marqué par l’abstraction et le travail sur les ressources et les sonorités plurielles de l’instrument qu’il a en commun avec la chanteuse.
Car ce disque est un perpétuel champs d’expérimentations et de sensations à partir des limites et des surimpressions du piano, mené en collaboration avec l’ingénieur du son Pierre Luzy. C’est déjà avec cet architecte sonore qu’Issam Krimi avait conçu son précédent album, Post Jazz, dont Barbara Piano Solo semble être la suite logique. L’utilisation de dispositifs électroniques et électroacoustiques (boucles, effets, overdubs, mais aussi préparation du piano…) est omniprésente dans de cette musique très « produite » où, entre les morceaux de Barbara, s’intercalent des pièces cosignées par Krimi et Luzy. Des pièces introspectivess dont les mélancolies crépusculaires (« No lights for Dreams ») soulignent une interprétation personnelle qui se décante au fil du temps.

Si l’on tient compte de cette alchimie, Krimi n’est peut-être pas si « solo » que cela face à son piano, finalement. Le rôle de Luzy est primordial, en effet, dans la construction d’une atmosphère où l’instrument n’hésite pas à visiter les suraigus ou la saturation dans l’unique but de servir un propos, tout autant inspiré par le jazz que par les musiques électroniques, la musique de film, ou les musiques savantes européennes. D’Aphex Twin à Ligeti, souvent les influences se dévoilent au détour d’une phrase.
D’ailleurs, Barbara Piano Solo nécessite parfois une écoute au casque si l’on veut percevoir tout les détails raffinés mis en place pour évoquer la poésie de la disparue, et s’approprier toute la mélancolie des mélodies aigrelettes qui sous-tendent la profondeur des thèmes.

Qu’on passe par « Vienne », le morceau d’ouveerture, ou par le charme gracile et alangui de « Nantes », au milieu de l’album, on croit entendre la prosodie de Barbara comme un souffle lointain à la sensibilité étrangement exacerbée, même dans le flot déconstruit de certaines pièces. Ainsi, l’émotion presque tangible qui se dégage çà et là des « Insomnies » se traduit ailleurs par des phrases absentes qui reviennent en bribes touffues hanter littéralement ce disque habité.