Chronique

Itamar Borochov

Blue Nights

Itamar Borochov (tp), Rob Clearflied (p), Avri Borochov (b, oud), Jay Sawyer (dm)

Label / Distribution : Laborie Jazz

D’emblée on est conquis par le titre d’entame de ce troisième album du trompettiste new-yorkais d’origine israélienne Itamar Borochov. « Right Now » nous précipite dans l’ici et maintenant d’un nouveau grand de la trompette avec une force tranquille des plus convaincante : cette ballade ferait frémir d’aise la moelle épinière d’un paraplégique !

D’aucuns trouveraient qu’il y a moins d’urgence que sur son précédent opus, « Boomerang ». Pourtant, possédé par sa trompette, ce trentenaire se révèle comme l’un des plus passionnants pratiquants de l’instrument, au sein d’une génération comptant dans ses rangs Ambrose Akinmusire, Christian Scott ou encore Avishai Cohen (le trompettiste). Sa particularité ? La recherche ontologique du quart-de-ton sur un instrument non modifié, afin de retrouver les mélopées qui ont bercé son enfance, issues notamment de la tradition de Boukhara, dont les Juifs d’Asie centrale entretenaient la flamme, ou encore les gammes maqâm, ces modes musicaux issus des peuples turcophones. Le rendu est sublime et on l’imagine torturant ses lèvres pour découvrir des notes étrangères à l’instrument mais qui résonnaient là, au fond de son être (il est d’ascendance ouzbek et ashkénaze).

Qui plus est, son jeu irrigue tout le groupe. Sur « Maalem » par exemple, le pianiste joue une introduction empruntant au langage du leader, pour développer une vamp possédée, rappelant la transe gnawa à laquelle l’orchestre voue une admiration sans faille, confirmée par la présence de joueurs de karkabos, ces castagnettes métalliques du Sud marocain (sur « Motherland »). Mention plus qu’honorable donc à ces musiciens new-yorkais qui ont accepté de partager cet univers onirique sur des rythmiques improbables et des harmonies a priori inexistantes, qu’il s’agisse du somptueux pianiste Rob Clearfield au lyrisme sans faille, ou encore du fabuleux batteur Jay Sawyer, dont les cymbales frémissent d’extase. C’est qu’il y a là une quête mystique et donc fragile, comme le prouve le dernier titre « Kol Haolam Kulo -Take Me to the Bridge », inspiré d’une mélodie rabbinique suggérant que le monde est tel un pont étroit qu’il ne faut pas avoir peur de franchir.

Ce disque est également empli de bop. Bebop dans ses ruptures mélodiques et rythmiques qui n’oublient jamais de swinguer, hard bop dans ses réminiscences latines et funky. Le trompettiste et son contrebassiste de frère, Avri Borochov (un son plus que boisé, des graves phénoménaux), par ailleurs oudiste confirmé (un héritier du légendaire Ahmed Abdul-Malik donc), sont justement venus dans la Grosse Pomme pour se saisir de ces langages. En les conjuguant avec ses racines, Itamar Borochov confirme que l’avenir du jazz devra compter avec lui.