Chronique

Jean-Luc Guionnet

Plugged Inclinations

Jean-Luc Guionnet (orgue Hammond, claviers)

Label / Distribution : Circum Disc

Saxophoniste, notamment au sein du minimaliste Hubbub ou dans le chaotique The Ames Room, Jean-Luc Guionnet se plaît à arpenter la dimension physique du son avec une intelligence qui contrebalance l’austérité première de son jeu. Ici, à l’orgue dont il joue également, il présente un travail radical constitué d’un son unique déployé dans un long continuum. Semblant partir de rien (si ce n’est de la séparation du bruit et du silence) et n’aller nulle part (si ce n’est le retour à ce même silence), le gonflement d’une matière, d’abord ténue, prend peu à peu de l’importance en gagnant en grain, souffles rauques et aigus électroniques (à l’orgue il faut ajouter une série de claviers).

Dans ce pas-grand-chose qui s’étire longuement, le surgissement d’événements infimes est parfaitement identifiable et assimilable par l’oreille. Insuffisant, en revanche, pour l’attention qui ne parvient pas à se fixer et se dilue aussitôt. En refusant toute progression, le processus rend compte d’une certaine forme d’immobilité et ce bruit plein, parfois inquiétant et dans le même effet rassurant, est une immersion dans un liquide amniotique qui repousse le monde à l’extérieur.

Quoique éloigné, l’auditeur est malgré tout particulièrement actif, attendant presque malgré lui un nouvel événement qui fasse un accroc à ce tissu serré et monocorde. Certaines sonorités spectrales sont pourtant des leurres et des nuances semblent s’élever qui n’en sont pas, comme autant de mirages dans le désert.

Peu à peu, inexorablement (mais quelle est la durée et la mémoire de ce parcours ?), par pointillisme et sans y prendre garde, on est conduit ailleurs en se demandant, malgré tout, si le son entendu est toujours identique. Dans la reconnaissance fugace du timbre de l’instrument, l’oreille s’approprie rétroactivement tout ce qu’elle vient d’entendre pour l’envisager à l’aune de cette prouesse : “c’était donc de l’orgue !” et se laisse ensuite guider dans un final grandiose qui n’est certes pas celui de la Vème de Beethoven mais s’achève dans un brouillard électrique parfaitement saisissant.

Ce voyage immobile n’en reste pas moins un véritable jeu avec le temps et on imagine la puissance qu’il faut à Jean-Luc Guionnet pour se projeter avec autant de maîtrise et de retrait dans cette si lente modulation. La lecture de quelques textes de sa main (notamment “Proposition pour une architecture habitée de l’écoute”) trouvables sur son site, bien qu’ardue, n’éclairera en rien l’écoute de ce disque : elle permettra simplement de donner un versant théorique à cette expérience sensible ou, c’est selon, une démonstration perceptive à une image conceptuelle.