Chronique

Jon Urrutia trio

The Paname Papers

Jon Urrutia (p), Damien Varraillon (b), Stéphane Adsuar (dms)

Label / Distribution : Errabal Jazz

Le titre de l’album ne fait en aucun cas référence au scandale financier des « Panama papers » qui précipita le monde dans la crise extrême que le capitalisme fait subir à la planète, précise Jon Urrutia dans ses notes de pochette.

Il s’agit pour lui de raconter ses errances dans la jungle administrative chez les « gabatxos » (appellation basque pour les « gringos ») et, de fait, il réussit le tour de force de faire ressentir son angoisse dans une composition étonnamment burlesque, par un jeu que l’on pourrait qualifier de « latin-stride ». On l’imagine sortant du conservatoire d’un cours avec Bernard Maury (l’un des derniers élèves de Nadia Boulanger), perdu dans ses partitions, ou la tête emplie d’un relevé de solo après un atelier à la Bill Evans Academy qu’il fréquenta dans la capitale hexagonale, et devant jouer un tout autre air devant quelque guichet où tout étranger est forcément coupable.

Ce Basque est vraiment bondissant : il a un sacré « bounce », ce sens du rebond qui donne au swing une saveur capiteuse et enjouée. Peut-être a-t-il ramené ce toucher spécifique de son séjour à la Berkelee School Of Music. Toujours est-il que, de ses nombreux voyages, il sait restituer des émotions pianistiques diverses, tout en forgeant un style délicieusement mélancolique (avec quelque évocation surréaliste au détour d’une superbe « Fantaisie onirique », légère comme une douce averse sur une plage d’Euskadi).

Il est capable d’incursions pop (« Valse pour Nono »), de tensions bluesy (le redoutable shuffle « Entartetes Blues »), voire d’irrévérencieux coltranismes, osant proposer une relecture minorée sur la grille harmonique du monument « Giant Steps » - réintitulé ici « Pasos Enanitos », « pas de nains » - mais n’est-ce pas cela le jazz : jouer mineur sur du majeur et inversement.

Tiens, le CD saute ? Ah non, c’est un solo de Stéphane Adsuar. Le batteur, loin de raconter des salades, déroule un jeu contrasté et délibérément moderne, confirmant tout ce que les rythmiques présumées latines doivent au jazz (et inversement), et conférant au trio une dimension résolument contemporaine à faire pâlir plus d’un aficionado de Robert Glasper. Heureusement que Damien Varaillon est là pour tenir les murs de la maison. Avec son vibrato et ses cordes à vide qui frappent et caressent en même temps, ce jeune contrebassiste est en train de devenir une valeur plus que sûre de la quatre-cordes (aux côtés de Magic Malik entre autres). Il est le phare qui brille dans la tempête que génèrent les deux autres membres du trio.
Quand le pianiste basque fait souffler les vents du jazz, il provoque cet effet de foehn que connaissent les populations de sa contrée d’origine, pouvant rendre fou à lier. Comme ce trio.