Entretien

Michel Portal, un nouveau souffle

Entretien tous azimuts avec un musicien touche-à-tout.

Michel Portal par Michel Laborde. Salle Nougaro - Toulouse. Le 5-12-2000

Musique classique, contemporaine, jazz. Musicien, compositeur. Rythme, sonorité, souffle. Michel Portal s’explique.

- Michel Portal, vous êtes un multi-instrumentiste (clarinettes, saxophones, bandonéon, etc.) et un compositeur reconnu sur le plan international. Pourtant, lorsque vous vous présentez, vous dites le plus souvent « Michel Portal, musicien ». N’est-ce pas une façon de minorer la place de la composition dans votre parcours ?

Un certain nombre de musiciens pratiquant le jazz considéraient que j’étais un musicien classique et non un jazzman. Ma réponse a toujours été : « je suis un musicien ». A l’époque de mes débuts, c’était en effet très mal vu de pratiquer plusieurs genres. Si les musiciens classiques étaient obligés d’admettre que j’étais des leurs, en raison de mon cursus, néanmoins quelques-uns me reprochaient de faire aussi de la musique contemporaine ! Aujourd’hui, je vois que beaucoup pratiquent différents types de musique. Cela est devenu courant. J’ai peut-être contribué à cette évolution et j’en suis heureux.
La place de la composition, dans ma vie de musicien, me semble importante. En effet, j’ai écrit de nombreuses musiques de film, mais aussi des thèmes pour les concerts, les disques et, depuis plusieurs années, j’ai tendance à écrire davantage.
Pour autant, je pense que le terme « musicien » n’est pas dépréciatif, il est plus large. Et si je dis à quelqu’un qu’il est « musicien », c’est un compliment !

Michel Portal, Toulouse, salle Nougaro, le 09-01-2020

- Vous êtes, Michel Portal, un des très rares musiciens dont la carrière se partage, à peu près à parts égales, entre la musique classique (écrite, savante, etc. tous les termes ici sont inadéquats) de Mozart à Boulez pour aller vite, et les musiques improvisées, le jazz. J’ai l’impression que c’est moins vrai, la musique improvisée semble l’emporter. Faut-il lier cela à la peur, l’angoisse que vous dites éprouver chaque fois au moment d’aborder une œuvre « classique » ?

Dès mon plus jeune âge, j’étais amoureux de beaucoup de musiques, j’ai essayé de ne pas les perdre. Je n’ai pas le sentiment qu’une musique l’emporte sur une autre. Si je joue davantage de musiques improvisées c’est plutôt une question de hasard et de rencontres. La preuve, c’est que je viens d’enregistrer un disque classique avec Paul Meyer. Et c’était excitant pour moi d’aborder, à cette occasion, quelques œuvres baroques. La discipline absolue de la musique classique provoque parfois une inquiétude sur l’interprétation. Ce n’est pas le cas lorsqu’on travaille avec des compositeurs vivants. Quant au trac, je l’ai eu et je l’ai encore, je vis avec…

si je dis à quelqu’un qu’il est « musicien », c’est un compliment !

- Votre œuvre pour le cinéma est aussi reconnue qu’abondante. Vous en écrivez moins, non ? Avez-vous l’impression d’avoir fait le tour de ce que vous pouvez apporter au genre, de ce qu’il vous apporte ?

Le fait d’être improvisateur et polyvalent a intéressé certains cinéastes par exemple François Reichenbach, José Varela ou Jean -Louis Comolli. Ensuite, j’ai eu des demandes et j’ai écrit beaucoup de musiques de films dans lesquelles j’étais presque toujours interprète. Il s’agissait de musiques acoustiques puis d’autres supports sont venus, par exemple l’électronique que j’apprécie mais que je ne maîtrise pas. En effet j’écris moins de musiques de film, je pense que la demande est aussi une question de génération de réalisateurs. Je n’ai pas l’impression, bien sûr, d’avoir fait le tour de ce domaine mais la musique de film implique des contraintes parfois très pesantes. Je me sens plus libre lorsque j’écris des thèmes pour mes concerts .

Michel Portal, Jazz in Marciac, chapiteau, le 10-08-2005

- Quand on vous voit, on sent immédiatement l’importance du rythme à vos yeux. Je me dis parfois que vous auriez pu déclarer : « Au commencement était le rythme ». Mais vous affirmez aussi : « Seule l’expression m’intéresse ». Voulez-vous bien nous éclairer sur ces deux points ?

Oui, j’aime beaucoup l’expression « au commencement était le rythme » car le rythme, pour moi, est essentiel et j’ai toujours aimé la danse. Dans le jazz et les musiques improvisées, le rythme est une dynamique très importante qui me donne des idées d’improvisation. Je ne vois pas de contradiction avec la recherche de l’expression qui est mon objectif. L’expression passe par le souffle et l’articulation. Le son est quelque chose de très personnel et c’est ce qui me bouleverse chez certains grands jazzmen tout comme dans les autres musiques. C’est par mon souffle que passe la sensibilité, que se transmet l’émotion. C’est une recherche perpétuelle chez moi.

on aurait besoin d’un autre « souffle de grand air »

- Depuis quelques années, on vous voit sur scène avec des musiciens plus jeunes que vous : Bojan Z, Julien Lourau, Baptiste Trotignon… voire plus jeunes encore : Émile Parisien, Vincent Peirani… Que pensez-vous leur apporter ? Et eux, vous apportent-ils quelque chose ?

J’ai toujours aimé les rencontres, ce sont des aventures. Malgré les différences d’âge et d’expérience, si des jeunes musiciens jouent avec moi, c’est qu’ils ont envie de faire un chemin avec moi. Sur scène, quand je joue, ce n’est pas l’âge qui importe, c’est la personnalité musicale de chacun. L’objectif est de créer un collectif lors des concerts.

Michel Portal par Michel Laborde. Toulouse, salle Bleue, le 28-2-1998

- Dans les années soixante, vous avez été un des précurseurs du free jazz en Europe avant d’en devenir l’un des principaux protagonistes dans la décennie suivante. Vous avez souvent souligné ce que cette « révolution » avait eu de nécessaire et l’importance de ce qu’elle avait permis. Pensez-vous que nous avons besoin aujourd’hui d’un tel souffle de grand air ?

En 68 et dans les années 70, nous voulions casser les barrières. C’était un engagement, une volonté de liberté d’expression totale, d’ouverture. Toutes les expériences d’improvisation devenaient possibles et il y avait aussi un public curieux, ouvert à toutes ces propositions. Aujourd’hui, sans doute on aurait besoin d’un autre « souffle de grand air » mais il me parait peu probable qu’il advienne pour le moment dans les circonstances très difficiles et anxiogènes que nous vivons et dont nous attendons et espérons la fin.

- Après plus de soixante ans d’une carrière exceptionnellement féconde et une reconnaissance unanime, est-il encore un rêve que vous aimeriez réaliser ?

Jouer encore ?