Chronique

Michel Portal

MP85

Michel Portal (cl, sax), Bojan Z (p, kb), Nils Wogram (tb), Bruno Chevillon (b), Lander Gyselinck (dms).

Label / Distribution : Label Bleu

Dix ans ! Il aura fallu dix ans pour que Michel Portal donne un successeur à Baïlador, dont nous n’avions pas manqué à l’époque de souligner les qualités dans une chronique qui concluait ainsi, mi-étonnée mi-enchantée : « À 75 ans, Michel Portal, homme de toutes les musiques, éternel voyageur en quête de nouveaux rivages, créateur de métissages fous, vient de nous offrir l’un de ses plus beaux disques. […] Dansons avec lui, c’est le meilleur moyen de conserver la jeunesse éternelle ! » Et nous voici à nouveau sous le charme d’une musique sans âge, d’une incroyable spontanéité et ruisselant d’une énergie collective qui ne laisse pas de susciter l’admiration. Pour mieux enfoncer le clou, le clarinettiste assume pleinement son âge en l’affichant dans le titre de son nouvel album, MP85. Celui-ci paraît chez Label Bleu, c’est donc là un retour, comme à la maison, après les épisodes heureux des années 90 que furent Anyway (1993), Musiques de cinémas (1994) et Dockings (1998).

MP85 ou la constitution d’une équipe née en 2018 à l’issue d’une carte blanche proposée par le festival Europajazz du Mans. Aux côtés de Michel Portal, deux fidèles de longue date : Bojan Z (piano, claviers mais aussi arrangements, direction artistique et production) et Bruno Chevillon (contrebasse) dont l’expérience, à la manière d’une assurance tous risques, se marie naturellement avec celle de deux « petits nouveaux » fougueux : le tromboniste allemand Nils Wogram [1] et le batteur belge dont l’allure juvénile reflète fort bien les audaces rythmiques, Lander Gyselinck. L’histoire dit que l’amalgame entre les musiciens s’est opéré très rapidement, au fil de quelques concerts seulement, instillant sans doute dans les esprits la possibilité d’un disque. On le croit volontiers.

Une pandémie de coronavirus plus tard et voici le quintet réuni à la fin du mois de juin 2020 au studio Gil Evans d’Amiens sous la férule de l’orfèvre Philippe Teissier du Cros. Michel Portal le dit sans détour : ce ne fut pas si simple que ça. Confinement, solitude, l’autre devenu ennemi potentiel et mis à distance, autant de nouveaux paramètres dans l’équation d’une vie de musicien. Des peurs, une confiance ébranlée aussi. Mais c’était sans compter sur l’engagement de chacun dans un projet qui a débouché très vite sur une joie commune et une libération des énergies. Et au bout du compte – prenons le risque d’être superlatif – ce qui ressemble une fois encore à l’un des plus beaux disques de Michel Portal.

MP85 est un grand voyage : on y entend l’Afrique (« African Wind »), le folklore des pays de l’Est (« Armenia ») et bien sûr le cher Pays Basque, toujours présent, ici dans un « Euskal Kantua » à vous donner le frisson, histoire de conclure sur une note paisible et recueillie, d’une infaillible beauté. Mais ce périple est aussi celui qui vous emporte vers le pays des maîtres et les influences revendiquées : Duke Ellington ou Miles Davis, sans oublier un hommage appuyé à deux musiciens qui comptent pour Portal : Mino Cinelu et Miroslav Vitous (« Mino-Miro »). Le groupe est habité, comme en état de plénitude et à ce petit jeu, ou plutôt ce grand jeu, Bojan Z joue pleinement son rôle de fédérateur. Piano éclatant de lumière harmonique, claviers à la manœuvre d’un design sonore discret d’une grande élégance formelle (« Euskal Kantua ») et, au passage, reprise d’une composition dont on avait pu découvrir le caractère envoûtant sur son album Soul Shelter, « Full Half Moon ». Dans ces conditions, on imagine à quel point MP85 est pour Michel Portal un formidable terrain de jeu. On le sent traversé d’une série d’émotions qui vont du bonheur simple d’être à nouveau en musique à une vision contemplative d’un monde dont il s’agit de faire tomber les barrières. Plaisir de la mélodie mêlé à cette joie qu’on lui connaît depuis toujours de s’aventurer vers l’inconnu, de boxer dans l’instant, à la recherche de l’étincelle et de l’explosion. Celle de la vie. Toujours elle !

par Denis Desassis // Publié le 21 mars 2021
P.-S. :

[1Dont on écoutera avec profit le très beau Housewarming (2015) en duo avec un certain… Bojan Z.