Scènes

NJP s’éclipse dans une Ellipse

Nancy Jazz Pulsations – Chronique 9 – Samedi 20 octobre 2018, Théâtre de la Manufacture – Régis Huby « The Ellipse, Music For Large Ensemble »


© Jacky Joannès

Clap de fin pour NJP édition 2018. Pendant que le Chapiteau de la Pépinière vibrait à une nouvelle visite de l’inusable Maceo Parker, l’ambiance était tout autre du côté de la Manufacture. Le violoniste Régis Huby présentait « The Ellipse », une création contemporaine au format XXL.

Finalement, tout aura été comme d’habitude une question de choix personnel durant les dix soirées du festival… Il ne faut jamais oublier que NJP propose chaque soir des évènements en des lieux différents et qu’il est nécessaire de trancher parce que le don d’ubiquité n’existe pas. Lorsqu’il s’agit d’en rendre compte pour Citizen Jazz, il est logique d’opter pour des concerts qui, pas forcément les plus exposés médiatiquement, sont le reflet de ce qu’on appelle communément « jazz » dans toute sa variété d’inspirations, quitte à faire le constat d’une audience maigrichonne et d’un public manquant d’enthousiasme. Il est par ailleurs des soirées – faisant salle comble je le précise – que j’avais exclues d’emblée, comme le double concert de Stacey Kent (une précédente et soporifique expérience m’ayant dissuadé de récidiver) ou le énième passage d’Avishai Cohen, même aux côtés de l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy car Henri Texier nous attendait pour tourner avec nous dans la fièvre 50 ans d’histoire en musique.

NJP n’est pas un festival : ce sont en réalité plusieurs qui coexistent et se croisent, appelant vers lui des publics multiples dont on rêverait qu’ils fassent, par une programmation composite et peut-être plus risquée, l’objet d’un vrai brassage, seule source de découverte pour chacun·e d’entre nous. En ce qui me concerne, je ne peux que regretter de n’avoir pu vibrer comme je l’aurais souhaité à certaines musiques (je pense à Samy Thiébault, Vincent Peirani ou Henri Texier) parce qu’un peu coincé dans le confort de la Salle Poirel ou du Théâtre de la Manufacture.

Des choix, donc et le dépit parfois de ne pas se perdre dans l’ambiance si particulière, vivante et bruyante, du Chapiteau de la Pépinière. Ce sera, j’en suis certain, pour l’année prochaine et une nouvelle édition qui devrait voir une équipe renouvelée à la tête du festival. À suivre donc, et toujours avec passion.

Régis Huby © Jacky Joannès

C’est une somme. D’histoires, de femmes et d’hommes, d’expériences musicales. Ils sont quinze sur scène, tous unis autour de Régis Huby qui a composé une œuvre massive, aux couleurs austères et dissonantes, nommée The Ellipse. Le violoniste a rassemblé des musiciens qu’il connaît bien, pour avoir travaillé avec eux dans ses propres formations (Equal Crossing ou le Quatuor IXI par exemple) ou les avoir côtoyés ailleurs (chez Yves Rousseau ou Marc Ducret). Il n’est pas de ceux qui s’arrêtent en chemin pour regarder en arrière ; ce compositeur-là préfère avancer, agréger et prendre des risques. The Ellipse est une mise au point, à la fois un bilan et un regard vers demain. Mais c’est une œuvre farouche, il vaut mieux le savoir.

Parce que – je le dis ici tel que je l’ai ressenti durant les 70 minutes de cette symphonie contemporaine, ainsi que la qualifiait l’un de mes voisins – il m’aura fallu du temps pour pénétrer dans l’univers tourmenté et obsessionnel imaginé par Régis Huby et ses partenaires. Pendant que j’essayais de me frayer un petit chemin dans les tutti ombrageux de l’orchestre et les éclats cuivrés du trombone ou les appels lancinants des cordes, je me suis raccroché à quelques conversations en duo improvisé : par exemple celui de Jocelyn Mienniel à la flûte et Bruno Angelini au piano ; ou Pierre-François Roussillon à la clarinette basse et Marc Ducret à la guitare électrique ; ou encore Catherine Delaunay et Pierrick Hardy à la guitare acoustique.

Il y avait beaucoup de concentration dans le regard des musiciens chevronnés qui forment ce Large Ensemble. Quelques sourires aussi, de temps à autre, comme dans une libération d’après la tempête. Mes références musicales, voire mes connaissances, sont sans doute insuffisantes pour établir avec justesse des ponts entre The Ellipse et toutes les influences dont Régis Huby s’est nourri pour donner vie à cette longue suite en trois mouvements. Dans le dernier quart d’heure, alors que j’étais enfin emporté par le grand mouvement obsessionnel qui animait l’orchestre, avançant d’un même pas après ce qui s’apparentait souvent à une lutte contre des vents contraires, une vraie vibration a éclos. Profonde, inquiète et humaine à la fois. Je suis certainement « à côté de la plaque » en disant tout cela, The Ellipse ayant suscité peut-être plus de questions que de réponses. Mais je me dis aussi que, toute notion de forme mise à part, elle est là, aussi, la vie du jazz : dans cette interrogation perpétuelle et la nécessité de briser les barrières. Et les certitudes.