Scènes

Étonnez-moi, nOx.3 !

Nancy Jazz Pulsations – Chronique 2 – Vendredi 12 octobre 2018, Salle Poirel – nOx.3 & Linda Oláh / GoGo Penguin


© Jacky Joannès

Deuxième rendez-vous avec Nancy Jazz Pulsations. Soit une soirée voyageuse, entre France, Suède et Angleterre. Et un dépaysement à géométrie variable.

Je dois l’avouer d’emblée : je n’avais jamais écouté la moindre note des trois mancuniens réunis sous le nom de GoGo Penguin. Nul n’est parfait… C’est donc ouvert « à toute proposition musicale » qu’il m’a été possible d’aborder leur concert à Nancy Jazz Pulsations. Au début (la composition s’intitule « Prayer », elle ouvre également leur dernier disque A Humdrum Star, que le groupe interprétera dans l’ordre, rappels compris), on se dit que le trio du défunt Esbjorn Svensson a trouvé des héritiers. Une économie de notes, une contrebasse au son rond et puissant, une rythmique obsédante… Au début, seulement, car la mécanique parfaitement (trop ?) huilée par Chris Illingworth, Nick Blacka et Rob Turner va dérouler une partition qui a finalement peu à voir avec l’idiome réflexif d’E.S.T., et repose sur une « méthode » à laquelle on pourrait faire le reproche d’être systématique : un motif (la plupart du temps exposé au piano, mais parfois introduit à la contrebasse) répété comme à l’infini, poussé par une batterie aux accents métronomiques. Au beau milieu, la contrebasse (Blacka est sans doute le plus charnel des trois musiciens) donne corps à un ensemble qui, pour être parfaitement exécuté, manque un peu d’âme. En d’autres termes, on a du mal à embarquer, même si le bateau est rutilant. Le livret de NJP dit que GoGo Penguin « révolutionne la musique contemporaine, dépoussière le jazz et redéfinit l’électro ». J’ignore si le jazz a besoin d’être dépoussiéré (j’ai besoin qu’on argumente, tout de même…) et il semble que la musique contemporaine ait peu à voir avec les tourneries mécaniques du trio. Oui, c’est vrai, cette tentation répétitive rapproche le groupe de la scène électro. Mais cette froideur, cette finition sans défaut gêne un peu aux entournures. On voudrait être surpris, de temps en temps. Le public semble avoir aimé, qui obtient deux rappels.

GoGo Penguin © Jacky Joannès

Le sens de la surprise, les musiciens de nOx.3 l’ont quant à eux chevillé au corps, c’est évident. Ils ont ouvert la soirée avec beaucoup d’autorité, augmentés de Linda Oláh avec laquelle ils travaillent depuis deux ans. La suédoise est vocaliste plus que chanteuse, elle joue constamment de sa voix qu’elle modifie du bout des doigts à coups d’effets électroniques. À elle-seule, elle est capable d’instaurer des climats vaporeux et planants, où l’humour affleure, notamment lorsque la musique se pare de phrases surréalistes et répétées (« Mais de quoi l’horizon accouche quand on le baise avec la bouche ? »).

Linda Oláh & Rémi Fox © Jacky Joannès

On savait par ailleurs toute la force créatrice de Rémi Fox, Matthieu Naulleau et Nicolas Fox, déjà à l’affiche du festival il y a deux ans et leur capacité à sortir du cadre d’une musique convenue pour explorer des contrées souvent incertaines, aux nuances rugueuses. Et si le titre de leur dernier disque, Inget Nytt. signifie « rien de nouveau » en suédois, on n’en apprécie que mieux l’humilité d’une formation dont le corpus musical haut en couleurs doit tout autant aux déphasages de Steve Reich qu’à l’expressivité brûlante du free jazz et aux explorations de la musique électronique. Car comme la voix, saxophones, piano et batterie sont « augmentés », se transformant en instruments polyphoniques. nOx.3 creuse un sillon qui n’appartient qu’à lui-même en ce que sa musique hypnotique n’en évoque pas vraiment d’autre. Cet inouï est assurément une promesse : celle que chaque concert – car c’est bien sur scène que le groupe donne sa pleine mesure – soit l’occasion d’une découverte, d’un autre moment d’étonnement. Vivement la prochaine fois !

par Denis Desassis // Publié le 13 octobre 2018
P.-S. :

Sur scène

  • nOx.3 & Linda Oláh : Linda Oláh (chant, effets), Rémi Fox (saxophones alto et baryton, effets), Matthieu Naulleau (piano, effets), Nicolas Fox (batterie, effets).
  • GoGo Penguin : Chris Illingworth (piano), Nick Blacka (contrebasse), Rob Turner (batterie).

Sur la platine