Chronique

Romane & Stochelo Rosenberg

Double jeu

Romane (g), Stochelo Rosenberg (g), Stephane Huchard (d), Marc-Michel Le Bevillon (b)

Label / Distribution : Frémeaux & Associés

En découvrant le titre de cet album on peut se demander quel est ce double jeu dont il est question. Ne vous laissez pas abuser par la jaquette : ces deux-là ne jouent pas l’un contre l’autre mais plutôt l’un tout contre l’autre. Dès les premières secondes de cet album on comprend qu’il n’y a pas de rivalité entre ces deux figures de la guitare manouche mais plutôt une amitié scellée de joie et de malice. Tout au long de l’écoute les deux guitaristes se révéleront tour à tour grands solistes et grands accompagnateurs.

Peut-être faut-il prêter attention au regard malicieux de Stochelo Rosenberg vers le photographe pour deviner que nos deux guitaristes font mine de se mettre en échec, pour mieux duper le public naïf que nous sommes.
Comment ?! Après l’accueil enthousiaste de leur premier album Elegance, ils auraient l’impertinence de jouer un double jeu avec le public ?
Et pour cause, cet album ce n’est pas vraiment du manouche, ils ont laissé leurs « pompes » avec Élégance. Est-ce un jazz manouche plus jazz que manouche ? Pas sûr…

Avec le départ de « Strange Eyes » sur les chapeaux de roues, on se demande à quoi tourne cette locomotive ! Et dès les premières secondes on embarque pour on-ne-sait-où et sans nous demander notre avis. Le groupe nous mène dans plusieurs registres. Un « Nature Boy » dans une interprétation latino, du mambo (« Black Mamba »), du hip-hop et du reggae (« Accent Groove »), du r’n’b (« R’n Bis »). Tout au long de l’écoute on sera étonné des références à la musique actuelle. On n’est pourtant jamais très loin du jazz. « Bop Tension » envoie tout swinguer et le thème « Double Jeu » est une valse swing qu’auraient pu chanter Nougaro ou André Minvielle. Ce titre éponyme aurait vocation à devenir un standard du genre. C’est le thème de l’album le plus chantant, le plus beau. « Blues For Barney » est un hommage très tonique au guitariste Barney Kessel.

Les deux guitaristes sont accompagnés d’une section rythmique de choix. Marc-Michel le Bévillon à la basse qui jouait déjà sur Djangovision de Romane et Stéphane Huchard à la batterie. A l’écoute de ce Double Jeu on ne sait d’ailleurs plus très bien qui tient la section rythmique et qui tient la section mélodique. Peut-être y a-t-il ici aussi double jeu ?

Comme cette interprétation du « Blue Rondo à la Turk ». Ici ce n’est pas tant le thème qui séduit mais plutôt le contraste apporté par la section rythmique et surtout par la contrebasse de Marc-Michel Le Bévillon. Le contrebassiste surprend par la modernité de ses trouvailles. Quel groove ! On apprécie particulièrement les moments où il fait ronronner sa contrebasse. La batterie de Stéphane Huchard ne laisse pas indifférent, son jeu est à la fois subtil et percutant. En l’écoutant on pense parfois à Aldo Romano notamment sur le « Black Mamba » clôturant l’album qui sonne très Carnets de route.

En lisant les notes dans la pochette de l’album on apprend que ni le batteur ni le bassiste n’avaient vu Stochelo Rosenberg avant d’entrer au studio. On est d’autant plus bluffé par la complicité entre les musiciens. Cet album est un must du genre ! Mais de quel genre ?