Entretien

L’Orchestre de Contrebasses

Vingt-cinquième anniversaire ! Rencontre avec le leader de la formation.

1981-2006. Un quart de siècle de contrebasses. Loin d’être occis, l’OCB ! En décembre, cette formation singulière a fêté ses 25 ans par une pige d’un mois au Théâtre du Renard à Paris. Heureux retour au bercail après six disques et des centaines de concerts dans le monde entier. En 25 ans de tournées, la formule n’a pas bougé. Six contrebasses sont sur scène, mais le collectf compte aujourd’hui huit contrebassistes.

Citizen Jazz a assisté à l’une de ces représentations « anniversaire ». Une heure et quart d’un spectacle-instrument unique et salutaire. Scénarisée, amusée, joueuse, lyrique et finalement assez spectaculaire, la prestation « best of » de l’Orchestre de Contrebasses fait aimer encore plus la fameuse « grand-mère ».

Rencontre, quelques minutes après le concert, avec Christian Gentet, fondateur et leader de la formation.

L’homme-orchestre de l’orchestre, c’est toi ?

C’est moi et en même temps, c’est surtout un collectif. J’ai monté l’orchestre, mais deux autres musiciens sont là depuis 25 ans : Yves Torchinski et Jean-Philippe Viret. La constante de l’orchestre, c’est le collectif. Chacun prend part à l’élaboration des choses. C’est pour ça que je travaille toujours avec des contrebassistes qui sont compositeurs. Ils s’impliquent dans ce que l’on fait parce qu’ils défendent aussi leur musique. C’est un peu l’intérêt du groupe. On voit six contrebassistes différents et six compositeurs aux sensibilités différentes.

Comment vous est venue l’idée originale de rassembler six contrebassistes ?

Deux raisons : d’une part parce que la contrebasse a beaucoup de possibilités, y compris dans l’aigu. Là c’était une occasion de l’utiliser dans ce registre. Elle a aussi de réelles possibilités dans les percussions, les sons nouveaux… Et puis ce qui m’intéressait surtout, c’était la personnalité des contrebassistes. Ce sont des gens particuliers, qui naviguent souvent dans toutes les musiques, qui ont l’habitude de passer du jazz à la musique contemporaine, du classique à la variété… Des gens ouverts, qui s’intéressent aussi à l’harmonie, à la construction… Et puis ce sont des gens assez humbles pour avoir une aventure collective.
Avec six contrebasses se rajoute le côté théâtral. Sur scène, c’est une scénographie en soi ! Le côté visuel de l’instrument est très intéressant. Et puis c’était quelque chose d’impossible à faire. Cette situation de risque m’a excité…

L’Orchestre de contrebasses © H. Collon/Vues sur Scènes

Avec vos spectacles, on a l’impression que vous exploitez à fond toutes les possibilités de l’instrument… De la pique à la clé !

Oui, et pourtant on trouve toujours des choses nouvelles. Cela dépend uniquement des limites de notre esprit. On peut toujours trouver de nouveaux modes de jeux. Avec par exemple un morceau de Xavier, « Celtic Dream », on fait de la musique électronique. On renverse les choses, et là, c’est nous qui imitons les samplers et synthétizers. Il est toujours intéressant de se positionner à l’envers…

Tu donnes sur scène l’impresssion de chercher beaucoup du côté des percussions…

Je cherche beaucoup dans les modes de jeu. Chacun a un peu sa spécialité. Tous les trucs rythmiques, je les travaille beaucoup. Les percussions sont un mode de jeu assez difficile ! Alors je cherche des choses un peu bizarres. C’est le mode de jeu qui m’inspire la composition. Xavier, lui, a par exemple un côté plus « ethnique ». Il s’inspire de ses racines bretonnes, du folklore… Chacun son approche.

Quelques morceaux simplement « bruitistes », comme celui où l’orchestre simule et se joue d’une ambiance de bord de mer, signent votre marque de fabrique. Ça marche à tous les coups ?

(Sourire) On a du mal le retirer, celui-là ! Le côté « faire un morceau sans jouer une note de musique », c’est toujours marrant ! C’est bien, parce que ça ramène les choses à ce qu’elles sont. Qu’est-ce que la musique ? Des sons organisés ! Nous sommes dans une époque où nous recevons un tas d’informations compliquées… Là, on se retrouve dans un petit scénario aux accents de préhistoire. C’est une manière de faire voyager les gens par l’évocation.

L’Orchestre de contrebasses © H. Collon/Vues sur Scènes

C’était important pour vous de fêter vos 25 ans d’existence ?

Oui. Ce côté « C’est impossible mais on le fait quand même »… Toujours bandant ! Même pour ceux qui jouent avec nous depuis longtemps, il est toujours incroyable de partir au Japon avec six contrebasses pour jouer devant 2000 personnes ! C’est impossible, mais on le fait !

Puisque tu parles du Japon… L’Orchestre de Contrebasses semble avoir davantage de notoriété à l’étranger qu’en France. Une explication ?

C’est certain qu’on a beaucoup plus de succès quand on va faire un concert à l’étranger. Quand tu as fait 5000 kilomètres et que tu arrives de France avec six contrebasses, c’est toujours plus excitant pour les gens. Ce n’est pas la même chose quand tu vas jouer à Limoges et que tu arrives de Paris. Et puis on bénéficie de l’aura de la France. On nous dit souvent qu’il n’y a que des Français qui peuvent faire des trucs comme ça… On croit toujours que c’est le pays de la culture etc. Alors que des pays comme l’Allemagne, où nous jouons beaucoup, me paraissent plus cultivés que nous !
La réputation de la France est un peu usurpée je trouve… Les Japonais imaginent que tous les Français écoutent Mozart au petit déjeuner ! Et puis quand on arrive à l’étranger, on est catalogués comme de grands musiciens classiques. Nous vendons d’ailleurs beaucoup de disques au Japon parce que nous sommes dans les bacs de musique classique. En France, on vendrait beaucoup plus si on nous positionnait dans ces bacs ! Mais ici, tu ne peux pas faire un truc contemporain, en prenant du plaisir, et être catalogué musicien classique. Dans certains pays, tout ça est vécu de manière beaucoup plus décontractée.

Le rayon jazz qui vous accueille en France ne vous convient pas ?

Les jazzmen nous détestent ! À partir du moment où tu fais de la création et que tu remplis des dossiers de subventions, tu mets « jazz de création ». Ça veut dire que c’est pas vraiment du jazz, mais qu’on nous catalogue quand même comme ça. Un moment, nous avions mis « musique d’aujourd’hui », mais comme les contemporains ont repris ça aussi…

L’Orchestre de contrebasses © P. Audoux/Vues sur Scènes

Pourquoi dis-tu que les jazzmen vous détestent ?

Parce que j’ai trouvé chez eux autant de fermeture d’esprit, si ce n’est plus, que chez les musiciens classiques. Il y a des ayatollahs partout ! Je le souligne, parce qu’au départ on pourrait penser que dans le jazz il y en a moins. On pourrait se dire que l’improvisation est liée à une certaine ouverture d’esprit… Ce n’est pas forcément vrai. Les a priori existent, c’est assez regrettable.

N’éprouvez-vous pas, avec une telle formation, une réelle difficulté pour passer de la scène au disque ?

C’est vrai que le problème du studio, c’est que ça stérilise beaucoup les choses. Ce n’est jamais simple de retranscrire un côté sauvage… En studio, tu fais vachement gaffe, tu essaies de jouer super juste… Du coup, l’ensemble n’a jamais la « gniaque » qu’il peut avoir sur scène.

Quel a été ton parcours avant d’arriver à cet orchestre ?

Je viens des musiques populaires, du rock et du jazz. Ce n’est qu’après avoir joué tout ça que j’ai fait des études classiques. Je pense que c’est un bon parcours. Après j’ai rejoué du jazz. J’ai été prof au CIM, j’ai joué avec beaucoup de monde pendant une dizaine d’années à Paris. Et puis j’ai monté l’orchestre, et petit à petit, ça m’a pris 100% de mon temps. Ça a été l’occasion pour moi de jouer toutes les musiques. C’est ça qui est intéressant. Tu peux te balader dans toutes musiques, et comme c’est un orchestre un peu particulier, personne ne vient te faire chier ! (rires)

C’est quoi, pour toi, un bon contrebassiste ?

(Sourire) Un bon contrebassiste, c’est comme un bon musicien ! C’est quelqu’un qui est dans la sensibilité, dans l’expression. Et en même temps, qui doit bénéficier d’une technique maximum.

L’Orchestre de contrebasses © P. Audoux/Vues sur Scènes

Mis à part les trois « piliers » de l’orchestre, ce sont toujours de jeunes musiciens qui viennent se greffer à la formule. Pourquoi ?

Il se trouve que j’enseigne. J’ai rencontré comme ça des élèves très intéressants, qui, avec leurs qualités, méritaient de venir apporter des choses dans ce groupe. Ils ont une autre expérience, et puis le fait qu’ils soient jeunes, c’est déjà une qualité ! Ce mélange est excellent. On a eu la chance que le « six » de départ évolue. Ce n’est pas évident de mélanger tout ce monde-là, mais c’est toujours très positif.
Ce truc intergénérationnel est super. Regarde la musique. On veut monter les jeunes contre les vieux. Les jeunes en écoutent une, les vieux en écoutent une autre… Moi je suis devenu musicien car quand j’avais quinze ans, je tutoyais des mecs qui en avaient soixante ! Et puis, je voyais qu’ils étaient comme moi ! Je crois qu’on a perdu cela. Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est la réconciliation !

Votre actualité 2007 ?

Des tournées en Turquie, en Corée du Sud, en Lettonie, en Russie, en France… Tant que les gens iront voir des musiciens jouer sur scène, on continuera ! Nous, on trace notre truc, on ne navigue pas à vue d’après les sondages.

par Benoît Lugué // Publié le 19 mars 2007
P.-S. :

A la contrebasse, et selon les spectacles : Christian Gentet, Etienne Roumanet, Olivier Moret, Yves Torchinski, Jean-Philippe Viret, Xavier Lugué, Leonardo Terrugi, Grégoire Dubruel

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