Adjunct Ensemble

Frappés en 2023 par l’objet sonore étrange et fascinant proposé par le producteur et claviériste de Belfast Jamie Thompson, sorte d’opéra fait de collage et d’électronique sulfureuse, ce qu’on appelle de plus en plus de « l’anti-opéra » [1], il nous semblait complexe de transférer ce projet du studio à la scène sans un certain nombre d’adaptations stylistiques. Le présent Habits of Assembly, enregistré au célèbre Café OTO de Londres en novembre dernier, répond pleinement à la question avec une équipe ramassée, mais toujours la poésie colérique et profonde scandée par la fascinante vocaliste et poétesse Felispeaks, et l’arrivée à point nommé du saxophoniste Sam Comerford, qu’on sait toujours à propos dans ces projets au confins de la musique contemporaine, de Piergiorgio Pirro à Augusto Pirroda. « They Try to Bury Us », tiré d’un gimmick de Sovereign Bodies/Ritual Taxinomy, l’illustre bien : piano puissant de Thompson qui entretient le feu du ténor au milieu du fracas de la batterie de Stephen Davis. La colère.

Avec ce remaniement de l’œuvre totale que se voulait l’enregistrement studio, Jamie Thompson en propose en quelque sorte une lecture jazz, dans sa version la plus libertaire et la plus contemporaine. Exit le trio punk et la chanteuse lyrique, foin des DJ, c’est recentré sur la base rythmique (remarquable John Pope à la basse) et faisant peser toute la tension sur la voix de Felispeaks (Felicia Olusanya) que le spectacle retrouve sa puissance et sa rage ; il est toujours question de migrations et de peuples sacrifiés, la critique du capitalisme est toujours aussi vive. L’électronique est toujours à la manœuvre dans la rage froide de « 19€/Wednesday 24th November », mais ce n’est pas le mille-feuille passionnant qui marque, mais plutôt la souplesse de l’orchestre qui parvient à réinstaurer un climat en y adjoignant l’urgence.

Adjunct Ensemble ne se perd pas en conjectures. L’idée de Thompson est de servir fidèlement les textes de Felispeaks, de leur donner vie, que ce soit par l’hyperbole ou la soudaineté. Habits Of Assembly est le résultat de cette ambitieuse recette qui parvient à insuffler un climat unique. L’ajout de nouveaux titres (« Ragdoll », plein de tensions et de silences), dans le même esprit opératique que l’œuvre originelle, permet même d’en découvrir davantage et laisse planer l’idée réjouissante que l’Adjunct Ensemble n’était pas l’orchestre d’un projet et s’offre le droit de poursuivre l’aventure.