
Piergiorgio Pirro
Fold/Unfold/Refold
Piergiorgio Pirro (cl, fx), Sam Comerford (ts, cl), Cyrille Obermüller (b),
Label / Distribution : Aut Records
On pourrait penser à une lame de fond. La musique spectrale est devenue un sujet dans le jazz, au point que le dernier disque de l’ONJ, Ex Machina revendiquait pleinement cette filiation ; c’est en connaissance de cause : Fred Maurin a toujours clamé sa proximité avec l’un des courants majeurs du XXe siècle finissant. Il a été, comme Steve Lehman, très influencé par Tristan Murail, ce qui a été brillamment illustré par ce disque. Mais la question du spectralisme a depuis longtemps nourri le jazz et les musiques créatives, au même titre que le minimalisme : de Braxton (notamment lorsqu’il travaille avec des logiciels, de Diamond Curtain Wall à Lorraine dont on parlera dans quelques mois) à George Lewis en passant par Ornette Coleman ou Matthew Shipp, la question de la nature spectrale du son a toujours été un sujet d’importance. D’autres, dans les musiques improvisées, ont réfléchi à cette question sans se revendiquer de l’étiquette, de Frantz Loriot à Christian Wallumrød ou Urs Leimgruber.
Peut-être la question n’avait-elle jamais été posée aussi simplement que par le compositeur et pianiste italien Piergiorgio Pirro, installé à Bruxelles : comment envisager la musique spectrale avec un quartet de jazz ? La réponse est formulée dans ce Fold/Unfold/Refold paru sur l’excellent label berlinois Aut Records ; comment plier, déplier et replier les timbres et la matière pour en percevoir, en quelque sorte, la géographie sonore ? Avec le saxophoniste Sam Comerford, qu’on entend notamment chez Augusto Pirroda, autre Italien installé en Belgique qu’on imagine assez proche de Pirro, c’est dans le bien nommé « Sam & Me » que l’on comprend la démarche. Une note tenue, qui perdure au clavier sur un souffle sablonneux du ténor puis se prolonge dans un traitement électronique, nous fait pénétrer dans la structure même de l’orchestre.
Ailleurs, on change de point de vue : « Landero » qui ouvre l’album s’appuie sur la pulsation (Cyrille Obermüller à la contrebasse, Luis Mora Matus à la batterie) pour créer un matériel que l’orchestre réutilisera plus tard comme pour changer de facette (« Piotr », plus électronique et troublant). C’est Fred Maurin, au moment de la sortie d’Ex Machina, qui nous avait orientés sur ce travail de Pirro. Le résultat est brillant et questionnant, le pianiste parvenant à sortir de sa propre problématique pour offrir une musique incarnée et vivace, s’affranchissant d’une virtuosité inutile.