Si Spider Season avait son lot d’étrangeté, peut-être n’attendions-nous pas le contrebassiste Nick Dunston sur une œuvre aussi complexe que radicale telle que ce Colla Voce. Avant toute chose, il s’agit de replacer Dunston, que nous avions interviewé il y a quelques mois, dans un contexte de musiques libres et savantes, tant avec Mary Halvorson qu’aux côtés d’Anna Webber ou Amirtha Kidambi. Puis de rappeler que Colla Voce est une locution latine employé en musique pour souligner que l’instrumentiste doit suivre le chanteur ; voici qui donne quelques indication sur un disque important pour Dunston, son premier sans doute qui va aussi loin en direction de la musique contemporaine, à l’image de cette orgie de cordes sur « Blinding, Joyous, Fearful » qui confronte le Jack Quartet et sa contrebasse. Un bourdon cherchant à nous égarer dans une masse compacte, et qui s’inscrit dans une tendance lourde dans la Creative Music étasunienne.
La voix n’est pas ici, pas davantage dans le motif répétitif oppressant qui entraîne « Pseudocorridor » dans l’urgence, mais on l’imagine volontiers énigmatique et lointaine. Les borborygmes qui accompagnent la batterie émergente de Moritz Baumgartner (Musina Ebobissé Quintet) nous le confirment : les chanteurs de Colla Voce ouvrent la voi·e·x, quand il ne brouillent pas les pistes. Collages tout droits sortis de la musique concrète (« Ova’Churr ») ou travail sur la spatialisation ou le volume de l’orchestre, Colla Voce nous ramène au travail de Cory Smythe ou au River Run Thee de Matana Roberts. Aussi à Jessica Pavone lorsque les cordes s’affrontent dans une escalade inquiétante, portées par les voix qui planent au dessus de la meute, comme des bombardiers.
C’est une écoute éprouvante mais captivante, une narration abstraite d’où les voix s’échappent des cycles des cordes. Elles sont quatre : Sofia Jernberg, entendue chez Smythe, mais aussi Friede Merze ou Isabel Crespo Pardo. Mais c’est Cansu Tanrıkulu qui impressionne le plus. Elle apporte cette voix ample et polymorphe au point de fusion, multipliant les différentes techniques vocales, comme Jernberg, pour coller au plus près de la tension alentour. Pensé comme un anti-opéra, plus dans l’idée d’interroger la forme que de la contester, Colla Voce est brut et sans concession ; l’argument importe peu, c’est l’atmosphère qui construit l’oeuvre dans un renversement des certitudes et une contemporanéité qui flamboie dans l’inquiétant « Anglo-Adjacent Phonetic Approximations ». Troublant.