On Innovation and the Future of Music
Sur l’innovation et l’avenir de la musique
Texte en Français
La pianiste slovène Kaja Draksler, dont on parle souvent dans nos colonnes, s’est entretenue avec quelques musicien.ne.s lié.e.s à la scène jazz et musiques improvisées.
Elle a, en plein confinement, cherché à savoir quelle était leur idée du futur, celui de la musique en particulier, et quelle place ils accordaient à l’innovation.
Le résultat est publié en anglais sous la forme d’une petite revue que l’on peut se procurer en papier (200 exemplaires numérotés) ou en pdf sur le bandcamp de la musicienne
Illustrés avec douceur et folie par l’artiste Szymon Pimpon Gasiorek, ces entretiens sont une vraie source de réflexion.
Les quelques extraits qui suivent illustrent bien la tonalité de l’ensemble.
Peter Evans, trompettiste américain, déclare : « J’ai vraiment l’impression que quelque chose d’aussi « démodé » que de jouer d’un instrument, et même de faire preuve d’expertise dans ce domaine, commencera lentement à sembler presque futuriste, comme quelque chose qui n’a pas encore été vaincu par la tendance à manipuler ou à truquer absolument tout… » puis ajoute « Je pense que nous sommes dans une ère d’ennui et de marasme, mêlée d’anxiété bien sûr, et que cela va probablement continuer. Et cela est vrai malgré toutes les informations et les outils à notre disposition. Je ne parle pas seulement de la musique, mais il est évident que la musique est affectée par les nouvelles technologies. »
Thanasis Deligiannis, compositeur et artiste grec, prédit : « La musique de l’IA sera partout, mais cela ne veut pas dire que la musique humaine ne sera pas la plus importante. Il y aura peut-être beaucoup de modèles, de sorte que vous ne saurez pas facilement ce qui est machine et ce qui est humain. » et s’interroge sur la notion de risque : « si quelqu’un monte sur une scène de concert comme le Bimhuis ou le Muziekgebouw et se met à chanter le solo du Roi Lion dans un concert de jazz, d’improvisation libre ou de musique nouvelle, je ne sais pas, je pourrais trouver cela autant de mauvais goût que courageux ! ».
Susana Santos Silva, trompettiste portugaise, répond à la question de l’innovation : « Parfois, en concert, la musique m’emmène au bord de l’abîme et c’est comme un vertige. Tu sais que tu devrais reculer vers un endroit sûr, mais ton esprit et ton corps sont attirés par cet inconnu stupéfiant qui est là devant toi, te défiant de sauter » et s’inquiète pour l’avenir : « J’ai tellement de mal à digérer les choses terribles qui se passent dans le monde, c’est comme si tout allait mal mais il est si difficile de faire une action qui pourrait réellement changer quelque chose à plus grande échelle. »
Ab Baars, multi-anchiste néerlandais, apprécie l’innovation au sens propre : « J’ai entendu des gens jouer du saxophone pour la toute première fois et j’ai entendu des choses incroyables qui étaient si belles et si inspirantes : une innovation pour moi. » et considère le futur comme une richesse : « J’ai l’impression que les jeunes musiciens d’aujourd’hui grandissent avec tant de choses à écouter, tant de choses à choisir, tant de choses à étudier, tant de choses à intégrer. Et tout cela est toujours disponible, à tout moment et en tout lieu. »
Gianluca Elia, saxophoniste et programmeur italien, porte un regard politique sur son travail : « Je n’aime pas me qualifier de professionnel, même si j’ai des capacités, des attitudes, des compétences professionnelles. Pourtant, je n’aime pas me considérer comme un professionnel, parce que cela a une connotation négative pour moi. C’est la même chose avec l’innovation. Je pense que l’on y accorde trop d’importance, d’une certaine manière cela a à voir avec le capitalisme » et il interroge la propriété intellectuelle : « Dans le meilleur sens du terme, nous copions tout le temps et il n’y a pas d’autre façon de faire les choses, en quelque sorte nous digérons les choses qui nous traversent. »
Christopher Dell, vibraphoniste allemand, s’interroge sur le futur et pense que « en raison de la crise actuelle, mais aussi en général - la notion de concert sera réinterrogée en tant que forme sociale, économique, politique et culturelle - ces affirmations concernent la musique, dans la mesure où il m’est possible d’avoir une vue d’ensemble ou une perspective. » Là où l’art a été en toile de fond des changements du monde des années 50, 60 et 70, il lui semble que « le néolibéralisme et la marchandisation du social ont changé pas mal de choses en pire. S’il y a des arguments contre cette thèse, je serais ravi de les connaître. »
Enfin, le batteur allemand Christian Lillinger s’amuse des clichés. « L’esthétique est vraiment importante pour moi. Comme toi et moi, par exemple : nous avons la même opinion sur ce qui est kitsch ou cliché :) » et il insiste : « Le cliché du musicien de jazz ou de l’improvisateur est toujours celui du vieil homme qui a une allure et une odeur déplaisantes sur scène et dont les enregistrements ont également une allure et un son de merde ou tout simplement faibles. Et si on en arrive au point où il doit parler de sa musique, il répondra le plus souvent : je ne sais pas... »
Tout au long des 16 pages de cet opuscule, on découvre avec intérêt la pensée partagée des musicien.ne.s sur leur propre travail et sur l’avenir de notre société.
English text
Slovenian pianist Kaja Draksler, frequently mentioned in our publications, has interviewed a few musicians linked to the contemporary jazz and improvised music scene.
In the midst of a confinement, she tried to find out what their idea of the future was, the future of music in particular, and what role they gave to innovation.
The outcome is published in English as a short magazine that can be purchased in paper (200 numbered copies) or in pdf on the musician’s bandcamp.
Illustrated with sweetness and madness by artist Szymon Pimpon Gasiorek, these interviews are a true source of reflection.
Also, these few excerpts out of context, illustrate quite well the mood of the enterprise.
Peter Evans, American trumpeter, says : « I really feel that something as “old fashioned” as playing an instrument, even demonstrating expertise in it, will slowly start to seem almost futuristic, like something that hasn’t yet been conquered by the push to manipulate or fake absolutely everything » and then adds « However, if I zoom in to a more culture & society analysis of things, I think we’re in an era of boredom and stagnation, mixed with anxiety of course- and that’s probably going to continue. And this is true despite all the information and tools at our disposal. I don’t mean just in music but obviously music is affected. One of the effects I see is the constant recycling of older styles and materials, lots of nostalgia. »
Thanasis Deligiannis, Greek composer and artist, predicts « AI music will be everywhere, but again this won’t mean humans’ music won’t be the major thing. Maybe there will be lots of mockups, so you won’t easily know what’s machine and what’s human. » And wonders about the notion of risk « I add a small fear : if someone goes on a concert stage like the Bimhuis or the Muziekgebouw and starts singing Lion King solo in a jazz, free improv or new music concert, I don’t know, I might have found that as much of a bad taste as daring ! »
Susana Santos Silva, Portuguese trumpeter, answers the question of innovation : « Sometimes in concert, the music takes me to that edge of the abyss and it’s like having vertigo. You know you should go back, to a safe place, but your mind and body are drawn to that amazing unknown that is there in front of you, daring you to jump. » and worries about the future, « I have such a hard time to digest the terrible things that happen around the world, it’s like everything is wrong but it’s so hard to do something that could actually change something in a bigger scale. »
Ab Baars, a Dutch reedist, appreciates innovation in the truest sense : « I’ve heard people playing a saxophone for the very first time and I heard incredible things that were so beautiful and inspiring : an innovation to me. » and sees the future as rich : « I have the impression young people/musicians today grow up with so much to listen too, so much more to choose from, so much more to study from, so much more to incorporate. And it is always available at any moment and any place. »
Gianluca Elia, Italian saxophonist and programmer, takes a political view of his work : « I don’t like to call myself a professional although I do have professional abilities, attitudes, I have skills. Still, I don’t like to think of myself as a professional, because it got a kind of evil meaning for me. It is similar with innovation. I think it’s overemphasized in a way that it has to do with capitalism. » and he questions the ownership : « In the best sense of the word, we are copying all the time and there is no other way of doing things, somehow we are digesting stuff that passes through us. That’s how I think we live and how we are, there is no other way in my opinion ».
Christopher Dell, a German vibraphonist wonders about the future and thinks that « also due to the crisis at the moment, but also in general - the notion of the concert will be re-interrogated as social, economical, political and cultural formthese statements are made regarding music, as far as it is possible for me to have an overview or perspective. » While art was the backdrop for the changes in the world of the 1950s, 60s and 70s, it seems to him that « neoliberalism and the economization of the social things changed quite a bit for the worse. if there are arguments against that thesis i would be only too happy to find out about them. »
Last but not least, German drummer Christian Lillinger, pokes fun at clichés : « Aesthetics is really important for me. Like you and me for example : we have quite the same opinion about what is kitsch or cliché :) » and he insists : « The Klischee of an improviser or jazz musician is still old man looks and smells, not good on stage and his recordings also look and sound all like shit or just weak. And if it comes to the point where he has to talk about his music, he’s gonna answer mostly : I don’t know… »
All along this 16-page booklet, it is interesting to discover the musicians’ shared thoughts on their own work and on the future of our society.