Chronique

Rémi Panossian Trio

BBANG

Rémi Panossian (p), Maxime Delporte (b), Frédéric Petitprez (dms).

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Pas si facile de se frayer un chemin dans le monde très fréquenté des trios piano, basse, batterie, formule isocèle souvent considérée comme l’une des plus exigeantes de l’histoire du jazz. Les références majeures ne manquent pas et le poids des illustres aînés risque vite peser sur les épaules des plus jeunes (pensez donc : Bill Evans, Keith Jarrett, Brad Mehldau…). Ces dernières années, quelques artistes – pas forcément en cour auprès des puristes - ont enfoncé un coin dans l’écorce du jazz, laissant respirer leurs amours pour des musiques d’inspiration rock, voire pop : E.S.T. ou The Bad Plus, par exemple. Tout près de chez nous, Éric Legnini a creusé son propre sillon, celui d’un groove généreux qu’il ouvre depuis quelque temps à des influences estampillées afro beat, en particulier via l’ouverture aux voix.

Un défi artistique que ne craint pas de relever le trio de Rémi Panossian, ce dont nul ne le blâmera : BBANG est un second disque bluffant dont le titre en forme de petite explosion [1] capte l’attention par sa frénésie et sa propension à raconter des histoires, comme autant de mini scénarios qui défilent. Celles-ci attestent une gourmandise partagée à part égale avec Maxime Delporte à la contrebasse - une boîte à idées à lui tout seul, en témoigne le formidable groupe Stabat Akish dont il est la figure de proue - et Frédéric Petitprez à la batterie. Trois amis, une complicité de dix ans, un besoin de faire durer des instants privilégiés sans verser dans la nostalgie mauvaise conseillère, mais plutôt en respirant la vie à pleins poumons.

BBANG est un album bienfaisant, contagieux, et disons-le, heureux. Il en émane des fragrances mélodiques efficaces qui le disputent à une curiosité toute en embuscades syncopées, nourries d’idées fréquentes, entre moments d’urgence et phases plus contemplatives, voire romantiques. Deux ans après Add Fiction et dans sa continuité naturelle, ce nouvel album est à considérer pour ce qu’il est : un carnet de voyages, un recueil d’anecdotes engrangées lors de tournées un peu partout dans le monde et tout particulièrement en Asie - une bonne centaine de concerts. L’histoire veut que, lors de ces voyages, les musiciens ne se séparent jamais d’une énigmatique boîte bleue, réceptacle imaginaire de leurs souvenirs (concerts, rencontres, objets) ; c’est en réalité le symbole des surprises qui se produisent invariablement, mais aussi leur boîte de Pandore, la source de leurs inventions collectives, leur cabinet de curiosités. Elle fonctionne un peu comme la madeleine ou les pavés disjoints de Proust : il suffit de l’ouvrir pour libérer les réminiscences, laisser affleurer les émotions. C’est ainsi que naît la musique. Défilent alors une bouteille de whisky (« Islay Smoky Notes »), un chauffeur de taxi alcoolique repenti (« Healthy Cab »), un bar coréen (« 3 Drinking Lab »), une vieille maison japonaise (« Shikori »), … Tout fonctionne autour et à l’intérieur de cette boîte bleue (« Inside The Blue Box », « Beside The Blue Box »), plaque tournante des expériences vécues et rampe de lancement des inventions musicales du trio.

Mais finalement, la projection de toutes ces images n’est peut-être pas aussi importante que la force jubilatoire de leur narration (saurez-vous par exemple refuser cette invitation à un « BBQ » très festif ?). Après tout, les couleurs déployées avec beaucoup de fraîcheur sont autant de canevas possibles pour celui qui les découvrira et pourra ainsi de son côté inventer ses propres histoires. Rémi Panossian, Maxime Delporte, Frédéric Petitprez, maîtres de leurs instruments et de leur imagination, savent mêler assez d’influences revendiquées (jazz, funk, rock) pour que leur propos interpelle chacun d’entre nous, quel que soit son parcours et ses préférences formelles. BBANG fait partie des disques décomplexés et fédérateurs qui ouvrent en grand la porte du jazz : leur volonté de brassage est à prendre comme un message d’accueil adressé au plus grand nombre sans que jamais le trio tombe dans le piège de la facilité et du besoin de plaire.

par Denis Desassis // Publié le 4 mars 2013

[1En coréen, BBANG est une onomatopée signifiant explosion.