Chronique

Rémi Panossian

Do

Rémi Panossian (p), Nicolas Gardel (dir)

Label / Distribution : Jazz Family

Parce qu’il n’y pas que RP3 dans la vie ; ou plutôt parce que le trio de Rémi Panossian est une aventure si prenante, si voyageuse aussi, que ses protagonistes doivent parfois prendre le temps de poser un peu les valises pour réfléchir au sens de leurs vies respectives et donner, le cas échéant, de nouvelles inflexions à leurs parcours artistiques. On sait toute l’énergie que déploie le pianiste aux côtés de Maxime Delporte (contrebasse) et Frédéric Petitprez (batterie) pour faire vivre une formation qui s’est hissée haut dans le petit roman du jazz en France (et qui vit de belles histoires en d’autres endroits de ce monde, en Asie notamment). Quatre disques en témoignent, dont Citizen Jazz n’a jamais manqué de souligner les qualités : Add Fiction (2011), Bbang (2013), RP3 (2015) et Morning Smile (2017).

Parmi les lieux refuges au cœur desquels Rémi Panossian éprouve le besoin de se ressourcer, il y avait le Rest’O Jazz de Toulouse, un club dans lequel il joua en solo pendant plus d’une décennie. À l’annonce de sa fermeture programmée pour l’été 2017, la décision fut prise d’y enregistrer à la fin du mois de janvier une musique forgée au fil des jours et des concerts. Avec un complice chargé de la direction artistique, le trompettiste et ami Nicolas Gardel. C’est donc Do qui voit le jour aujourd’hui : un titre que chacun prononcera à sa convenance, selon sa langue originelle. Cette multiplicité des sens convient d’ailleurs parfaitement à la démarche de Panossian dont le but est un accomplissement personnel, par l’échange, le cheminement, les voyages et la réflexion sur soi.

Disons-le sans détour, le résultat est d’une grande beauté. Au fil de compositions originales et de trois reprises (« Paint It Black » des Rolling Stones , « Merry Christmas Mr. Lawrence » de Ryuichi Sakamoto et « Caravan » de Duke Ellington), Rémi Panossian déploie une large palette de nuances et d’émotions. Avant le musicien, c’est l’homme qui choisit de parler à chacun de nous pour évoquer sa vie comme un livre ouvert et partager ses vibrations. Et de fait, son jeu est ici beaucoup plus réflexif qu’au sein de RP3 ; le pianiste le nourrit la plupart du temps de nuances méditatives, voire romantiques (comme « Why Are You Falling Down » qui ouvre le disque), pour mieux le laisser prendre son envol et libérer le moment venu toutes les énergies qui l’habitent (formidable et fulgurant « Escape », ou « Caravan » à l’écoute duquel on pense à la version qu’en avait donnée Michel Petrucciani). L’exercice du piano solo étant sans doute l’un des plus éprouvés, on se gardera bien d’une comparaison avec ceux qu’ont entrepris par le passé quelques musiciens prestigieux, pour mieux se laisser emporter par la générosité d’un enregistrement live auquel Panossian et son complice ont choisi de n’apporter aucune retouche.

Si Do s’apparente à l’évidence pour Rémi Panossian à un moment de vérité, quelque part sur l’île de son introspection [1], il est pour nous tous l’occasion de s’accorder ce qui, aujourd’hui, est peut-être devenu un luxe : un temps préservé de l’urgence du quotidien et du bruit incessant de son actualité surcommentée. D’autant que cette richesse s’accompagne du sentiment de jubilation qu’exhalent dix compositions à l’interprétation d’une grande humanité.

par Denis Desassis // Publié le 8 avril 2018
P.-S. :

[1En coréen, « do » signifie « île ».