Scènes

A Vaulx Jazz 2013, Youn Sun Nah/Ulf Wakenius 

Une soirée « Masculin-Féminin » illuminée par la présence de Youn Sun Nah


A propos des peintres, Picasso disait que certains font du soleil une simple tache jaune, et que d’autres font d’une simple tache jaune un véritable soleil… Et c’est tout le miracle de l’art. Ce 14 mars, Youn Sun Nah, telle l’étoile du jour, a illuminé la scène du festival A Vaulx Jazz, faisant oublier au public venu l’écouter le froid envahissant d’une fin d’hiver interminable.

Thierry Serrano est un programmateur heureux ; en présentant cette soirée dédiée aux voix devant une salle pleine à craquer pour elle, avec une fierté non dissimulée, il est conscient que celle de Youn Sun Nah est de plus en plus convoitée.
Suite à la sortie le 12 mars de Lento, la chanteuse coréenne, très attachée à Lyon, a choisi Vaulx en Velin comme point de départ de sa tournée.

Ménageant le suspense, et avec beaucoup de sensibilité, le guitariste et compositeur Ulf Wakenius installe d’abord l’atmosphère en solo, avec « Understand Blues », qui rappelle « Breakfast in Baghdad » et dont les inflexions orientales contrastent avec ses origines nordiques, selon le bon vieux principe des contraires qui s’attirent et se complètent. Puis, sortant de l’ombre, la gracile silhouette de Youn Sun Nah s’avance presque en hésitant au devant de la scène, auprès de son partenaire.
Avec la simplicité qui la caractérise, elle « espère que nous allons passer un bon moment »… Prenant le pouls de la salle, interrogeant la présence d’un éventuel compatriote coréen, et recevant la réponse positive, elle s’exclame non sans malice : « Mais on est partout ! »

Pendant une heure vingt, la magie de sa voix cristalline opère. Youn Sun Nah est un corps en fusion qui transforme les nôtres en masses vibrantes et tétanisées. D’aucuns le savaient déjà. Mais pour ceux qui la découvrent, c’est un énorme choc physique.

Youn balaye ses yeux écarquillés dans « Hurt », vit sa « Favourite Thing » seule, en mode digital avec sa sanza, lançant ses harmoniques comme des rayons X ; puis ses bras s’envolent comme pour mieux capter l’énergie nécessaire au saut de deux octaves que contient « Momento magico ». En écrivant ce morceau pour sa virtuosité impressionnante, Ulf Wakenius l’a gâtée, mais, selon elle, il a juste oublié d’y mettre des respirations… Comme si la longue tessiture de sa voix ne suffisait pas pour donner toute l’expression qu’elle a en elle, son corps entier se fait instrument, mimant un trombone imaginaire, aspirant et inspirant, explorant ses sonorités graves, un territoire encore inconnu à nos oreilles ravies.

Photo Christophe Charpenel

L’alternance de titres issus du nouvel album – qu’elle teste, non sans crainte, pour la première fois en concert — et de plus anciens Voyage et Same Girl, est le théâtre d’un univers musical multiculturel. En effet, l’habit de chanteuse de jazz devient trop étroit pour Youn Sun Nah. Sa voix et ses intentions musicales lui permettent d’aborder toutes les formes : le scat, la chanson, le chant traditionnel, le rock, la soul, et tant d’autres. Si elle le voulait, la Reine de la Nuit serait sans doute à sa portée !

L’idée d’enchaîner la reprise de « Jockey Full of Bourbon » de Tom Waits et « Arirang » berceuse coréenne récemment inscrite au patrimoine de l’Humanité, sorte de blues de son pays, apparaît comme une évidence. En poussant sa voix dans ses retranchements pour une version longue de « Breakfast in Baghdad » et en se livrant tout entière dans un « Lament » où aucune part d’elle-même n’est prête à céder, Youn Sun Nah illustre toute l’étendue de ses cris.

En s’appuyant sur cet héritage intelligemment réapproprié, son style s’affirme et s’oriente vers des possibilités musicales dont on ne soupçonne même pas les limites… Après une version d’« Avec le temps » qui vous arrache des larmes et le « Ghost Riders in the Sky » de Stan Jones, face à notre standing ovation, Youn Sun Nah et Ulf Wakenius nous laissent à nos émotions. Ils reviendront à Vienne le 12 juillet, avec les autres musiciens de leur quintet de prédilection : Vincent Peirani, accordéon, Lars Danielsson, contrebasse et Xavier Desandre-Navarre aux percussions.