Scènes

Avignon Jazz festival [2]

19è édition du Tremplin Jazz d’Avignondu 3 au 7 août 2010 avec « Mister T » Explosive Jazz trio, l’ONJ, Céline Bonacina Trio, Youn Sun Nah, Angelo Debarre et Christian Mendoza.group (vainqueur du tremplin 2009).


Dix-neuvième édition du Tremplin Jazz d’Avignon, Cloître des Carmes, du 3 au 7 août 2010 avec « Mister T » explosive Jazz trio, l’ONJ de Daniel Yvinec, Céline Bonacina Trio « Alefa », Youn Sun Nah quartet, Angelo Debarre et Christian Mendoza group (vainqueur du tremplin 2009).

Youn SUN NAH et Céline BONACINA : Invitation aux voyages - Vendredi 6 août 2010

Youn Sun Nah nous avait charmée, émue, troublée avec So I Am où nous la découvrions avec un groupe français tout dévoué à la tâche de la mettre en valeur. La beauté de sa voix et de sa musique naît de la rencontre inattendue, inouïe, entre cultures, mémoires et imaginaires étrangers, qui, ensemble, refont un nouveau monde. Elle est l’interprète pleine de sentiment de sa propre partition, qu’elle joue sur toutes les scènes, avec des musiciens de rencontre qui l’accompagnent dans sa route. A Avignon, elle chantait un répertoire issu de son avant-dernier album, Voyage et du dernier, Same Girl [ACT]

On ne change pas une équipe gagnante et elle est ici encore accompagnée par le prodigieux Suédois Ulf Wakenius, qui ne tarit pas d’éloges à son encontre. Le guitariste attaque seul par « My Song » de Keith Jarrett, et à aucun moment ne la quitte du regard. Les autres musiciens interviennent plus discrètement, mais avec élégance : souple et sensuel est le son du contrebassiste Laurent Larcher sur l’étonnant « Breakfast in Baghdad » de Wakenius tandis que les percussions minimalistes et opportunes de Xavier Dessandre-Navarre rythment l’univers bariolé de la chanteuse.

Youn Sun Nah © P. Audoux/Vues sur Scènes

On le sait à présent, Youn a des capacités vocales rares mais, plus encore, ce don de prendre son public à revers, invariablement. Son répertoire « cousu main » voyage dans d’autres univers et styles musicaux. L’appropriation fonctionne parfaitement, qu’on soit ou non inconditionnel du latin jazz, du jazz brésilien (« Frevo » de Gismonti), du hard rock, du blues ou de la pop. Sa reprise « Enter Sandman » de Metallica, par exemple, n’a rien de surprenant quand on sait ce dont elle est capable : certains éclats sauvages, une farouche énergie, presque animale parfois, un investissement total. Elle sait aussi apporter son éclat et sa fraîcheur, son élégance discrète, sans jouer le jeu des « stars » (éphémères) du jazz vocal actuel : elle n’est pas dans le grand Barnum médiatique, on ne la voit guère à la télévision. Et pourtant l’enchantement est immédiat. A peine trouve-t-on les mots pour écrire ce que cette voix éveille en nous, ce qu’elle nous révèle, aussi, de nous-mêmes. L’émotion suscitée par « My Favorite Things » est bien réelle ; c’est à notre sens une des deux meilleures versions chantées, avec celle de Theo Bleckmann sur The Night They Invented Champagne (Winter& Winter).

Quand elle chante en français, elle est tout simplement étonnante. Et sa reprise d’« Avec le temps », qui aurait pu tourner court, est l’un des moments précieux de la soirée. Youn elle-même en a les larmes aux yeux. Le phénomène est devenu assez rare pour qu’on le mentionne, sa pudeur dût-elle en souffrir. De toute manière, qu’elle reprenne le râpeux Tom Waits (inattendu « Jockey Full of Bourbon » ou Nat King Cole (un « Calypso blues » plein de charme), qu’elle jazze ou qu’elle chante Ferré, Youn Sun Nah peut tout faire. Il serait temps qu’on s’en rende compte ; en attendant, le public avignonnais lui a fait un triomphe.


En première partie, une autre musicienne, Céline Bonacina, avait fait forte impression au sein de son « Alefa ! ». L’injonction (« Vas y fonce ! » en malgache est respectée : toute frêle aux prises avec son énorme baryton, elle fait preuve d’une indomptable énergie. Sa générosité s’entend immédiatement, en dépit du mistral contre lequel tous les artistes, en Avignon, savent qu’il faudra lutter, un jour ou l’autre. L’Océan indien et ses musiques de danse n’ont plus de secret pour Céline Bonacina : son plaisir à les jouer et à nous les faire connaître est évident quand elle se saisit du kayam en sus des percussions et batterie d’Hary Ratsimbazafy ou mette en scène des boucles de divers saxophones (elle joue également de l’alto et du soprano.) Agréable moment que la découverte d’une saxophoniste et d’un trio chaleureux, qui se joue de rythmes plus complexes qu’il n’y paraît à première écoute.

Céline Bonacina © P. Audoux/Vues sur Scènes