Chronique

Boni / Echampard

Two Angels for Cecil - Tribute to Cecil Taylor

Raymond Boni (g), Eric Echampard (d)

Label / Distribution : Emouvance

Raymond Boni a la singularité des musiciens qui le sont devenus à force d’être amateurs. Au sens noble du terme, évidemment, par amour. C’est l’amour de Cecil Taylor, qui est à l’origine de cette suite de plus de cinquante minutes, créée pendant la rencontre totalement improvisée avec Eric Echampard. Two Angels for Cecil fut enregistré sur un magnétophone analogique, à l’Ajmi à Avignon, en novembre 98.

Boni explique : « Ayant appris la guitare dans le style de Django, les liens avec Cecil Taylor me paraissaient naturels. Cecil Taylor a un jeu à la fois orchestral, polyinstrumental, percussif, très dansant, profond…la fulgurance d’un tempérament de fauve… » Ce sont exactement les qualités de ce duo magnifique. Chacun, attentif à la réponse de l’autre, s’engage avec passion dans une conversation qui pourrait être sans fin. Un espace de liberté absolue.

Cet album doit s’écouter fort, et se voir en live. Boni et Echampard semblent toujours avoir le même plaisir à se (re)trouver, à partager. Une complicité originale et exigeante. Chaque nouvel échange complète le tableau de leurs variations en série.

Echampard « au drumming ambivalent » selon Philippe Carles, est plus percussionniste que batteur, de par ses goûts et sa formation au CSNM de Lyon. Il joue à l’envie des timbres et des rythmes qu’il alterne, superpose, redistribue. Quand il abandonne l’énergie pure déployée aux baguettes pour effleurer des balais les cymbales, ou même laisse tout tomber pour suivre simplement la seule pulsation sur la grosse caisse, il est traversé par cet amour du rythme. Plénitude de la sonorité, intensité sans vibration. Un sens de la construction dans lequel il s’engage tout entier. Tête penchée et yeux mi-clos, il suit très concentré le développement de ces pièces longues, difficiles, inquiétantes parfois.

On se situe très exactement entre l’angle vif et l’arabesque quand Boni joue avec Echampard. Soliste passionné, Raymond Boni affectionne les duos depuis longtemps : celui avec Gérard Marais fonctionne bien depuis 1973 et il entretient aussi une belle relation avec Joe McPhee. Malgré certains effets spectaculaires, la technique n’est jamais prétexte à virtuosité : Boni est un rythmicien hors pair, qui joue avant tout ce qu’il aime, musique manouche, flamenco, jazz . Il explore les lisières, fasciné par le chant, le cri, l’expression libre. Il part du jazz sans jamais le quitter, fidèle à cette musique d’imprévus. Parfois, il enlace sa guitare, d’un geste caressant, et du poignet, par des roulements vertigineux, en effleure à peine les cordes, ou au contraire les attaque, les malmène jusqu’à la déraison. Extrême dans un élan continu de distorsions, de transgressions, il est capable de tout obtenir de son instrument.

Le choc sismique, on le ressent avec ce duo étourdissant : ces deux-là devaient se rencontrer, à l’évidence. Poètes de leur matière, à leur manière, incandescente. Two Angels for Cecil, un titre splendide, très juste pour décrire la beauté dangereuse, les fractures de cette musique : la subtilité frémissante du batteur Eric Echampard conjuguée à l’ardeur bouleversante de Raymond Boni. A moins que ce ne soit l’inverse, tant ils permutent les rôles, dans cette évocation lumineuse où tous deux se livrent. A corps perdu.