Chronique

Claire Julliard

Little Louis

Label / Distribution : Le Mot et le Reste

Certes, le jeune Louis Armstrong pose, tout sourire, habillé comme Tintin (mais tellement plus classe) sur la couverture du livre mais c’est bien la mention « roman » qu’il faut regarder.
Claire Julliard part du constat que la préhistoire (0-20 ans) de Satchmo est mal renseignée, méconnue, voire légendaire. Ce n’est évidemment pas le trompettiste qui va arranger les affaires de la journaliste, tant il improvisait avec sa propre vérité.
Alors l’auteure a procédé autrement. Elle a planté un décor, celui de Storyville entre 1900 et 1917, le quartier rouge de la Nouvelle-Orléans où, dit-on, serait né le jazz. Bien documentée, elle a ensuite introduit des personnages - vrais pour la plupart ou « inspirés de faits réels » comme disent les scénaristes - et avec ce canevas, elle a brodé une histoire presque vraie. Celle d’un petit garçon pauvre, ballotté, débrouillard et malin qui finit par avoir une trompette entre les mains. Rien n’était gagné, car les familles noires de l’époque, à peine émancipées de l’esclavage, n’avaient ni droits, ni moyens, ni grandes perspectives.
Cette histoire, c’est le trompettiste lui-même qui la raconte. L’auteure a choisi ce point de vue ; il s’agit donc d’un entretien imaginaire entre Armstrong et un journaliste venu l’interviewer, à un moment où le musicien est au faîte de sa gloire et se décide à raconter sa vie. L’écriture est vive, le style oral forcément et on sent bien le réalisme d’un tel discours dans les digressions qu’opère cet Armstrong mis en scène, dans les apartés et les remarques sur son propre récit. Une technique d’écriture qui rend ce roman plus que crédible.
Il se lit rapidement et l’on se retrouve au milieu d’une faune bigarrée, un monde de violence, de prostitution, de jeux et d’injustices. Un monde où les rasoirs aiguisés sont rarement rangés à côté des blaireaux mais plus souvent au fond des poches des criminels de bas étage. Un monde où la frontière entre le bien et le mal est mal tracée, où dans les honky tonks les plus minables se côtoient putes élimées, diplomates enrhumés et musiciens de génie.
Finalement, cette version ou une autre est tout aussi valable, tant la vie d’Armstrong, musicien historique du jazz, ne commence vraiment qu’au moment où il quitte la Nouvelle-Orléans. Et cette vie-là est documentée. Julliard propose donc une alternative crédible au fatras décousu qui constituait jusqu’à présent la préhistoire de Louis Armstrong.