Chronique

Clovis Nicolas

The Contrapuntist

Clovis Nicolas (b), Sullivan Fortner (p), Jeremy Pelt (tp), Bill Stewart (dm)

Label / Distribution : SunnySide Records

Clovis Nicolas a une mission : celle de propager l’art du contrepoint, cette délicate manière de faire ressortir les qualités musicales de ses partenaires, qu’il s’agisse de l’ensemble ou des solistes. À la Juilliard School de New-York (la même école que Miles Davis), il a bénéficié des enseignements de Kendall Briggs, maître du quatuor à cordes. De ce bain dans les univers de Mozart, Beethoven et Bartok, il a tiré cinq pièces poignantes, d’une rare introspection, qui sont comme des miroirs musicaux de ses émotions.
En démiurge bienveillant, il a veillé à ce que le quatuor ici réuni bénéficie d’une écoute empathique de la part du public jazz, ne serait-ce que grâce à l’excellence de la production de son complice Daniel Yvinec. On pourrait voir là comme une forme de revanche sociale par rapport à la stigmatisation dont les musiciens de jazz ont pu faire l’objet de la part des ensembles classiques - ainsi de Ron Carter, mentor de Clovis Nicolas, qui se vit refuser un emploi dans l’orchestre symphonique de Detroit parce que… noir. Pourtant, ce n’est pas le propos. La partie dévolue au quatuor à cordes s’intitule « Le Miroir » comme si elle était le reflet de sa personnalité « jazz ».

Le programme que s’est fixé le contrebassiste provençal, établi à New-York depuis près d’un quart de siècle ? Transposer ses compositions classiques dans le langage du jazz le plus exigeant. Sa contrebasse sensuelle et furtive se love dans le swing impressionniste de Sullivan Fortner, danse avec la batterie orchestrale de Bill Stewart et chante avec la trompette bop lyrique de Jeremy Pelt. Habité par une vision poétique de la musique, le leader ne pouvait se contenter d’une transposition symétrique. Pour ne pas dérouter l’auditoire du jazz, il a choisi de faire d’abord figurer les plages jazz avant les pièces classiques dont elles sont peu ou prou issues.

Dans ce jeu de piste, il se plaît à proposer des rapprochements entre deux univers dont on sait qu’ils ne peuvent que rarement se rencontrer, semant comme un trouble dans les genres musicaux - mais lequel des deux serait primordial ? Ainsi de « Parallels », titre ô combien emblématique du projet, dans la mesure où la propriété géométrique de lignes parallèles est qu’elles ne se rencontrent jamais, connotant l’éternité : monument post-bop d’excellence, on croit en reconnaître des traits dans son « original » classique mais on finit par se dire que la « copie » jazz n’en est pas vraiment une et que l’on peut la préférer à la seconde… ces mouvements vers l’infini irriguent les autres titres, comme par exemple « Scherzo », furia afro-cubaine d’une mélodie lyrique confondante dans l’univers jazz, à l’origine fugue délicate dans l’univers classique.

Cet accord entre des univers parallèles est plus qu’une ambition de renouer avec ce que fut le « third stream » - ce courant du jazz initié notamment par le Modern Jazz Quartet qui cherchait à combiner jazz et classique dans une perspective « chambriste ». Il est, naturellement, l’œuvre d’un artiste en passe de devenir un maître, dût-on heurter sa modestie proverbiale, en jouant avec nos codes de la perception sensible.

par Laurent Dussutour // Publié le 9 juillet 2023
P.-S. :

Avec : Ulysses Quartet : Christina Bouey (vl), Rhiannon Banerdt (vl), Colin Brooks (viola), Grace Ho (cello)