Chronique

Cyril Achard Duo avec Géraldine Laurent

Visitation

Cyril Achard (g), Géraldine Laurent(as)

Label / Distribution : ACM Jazz Label

La rencontre entre ces deux musiciens d’exception n’allait pas vraiment de soi. Quoi de commun entre l’univers du guitariste provençal, depuis longtemps certes tourné vers une carrière internationale, mais toujours fidèle à ses racines locales, et les multivers, si l’on peut dire, de la saxophoniste niortaise, installée à Paris ?

On sait l’appétence de Cyril Achard pour le jazz électrique, de même que l’on connaît ses tentations acoustiques et sa passion pour la pureté du son de la six-cordes. Praticien zélé de la ré-harmonisation, cet art subtil de la réécriture des standards de jazz qui aboutit à leur mise en abyme, il sait amener son auditoire vers un état de transe et le conduire dans un maelstrom de notes bleues, avec une douceur extrême.
Quant à Géraldine Laurent… On ne lui fera pas l’injure de la présenter de nouveau ici ! Si ce n’est qu’elle développe avec virtuosité un propos plus que jamais orchestral. On y reconnaîtrait peut-être un peu trop vite la patte de Christophe Dal cSasso, l’émérite flûtiste et chef d’orchestre ayant produit ce disque… car lorsqu’une boppeuse de sa trempe s’attache au cadre intimiste d’un duo, on ne peut que s’attendre à du gros son !
La conversation entre ces deux artistes, loin d’être du bavardage, s’apparenterait presque à un dialogue socratique, si ce n’est que les protagonistes, loin de vouloir nous inviter à chercher quelque vérité que ce soit, nous plongent dans un état cathartique, voire utopique. C’est bien dans d’autres lieux, au sens originel du terme, qu’ils nous convient : des espaces éthérés propices à l’émancipation vis-à-vis des cadres établis des musiques de jazz tels qu’ils sont hélas trop souvent formatés par l’industrie musicale. Donnant à voir en écoutant, tellement ils s’écoutent l’un l’autre, le guitariste et la saxophoniste transcendent les codes jazzistiques pour ouvrir des territoires rêvés, tantôt impressionnistes par les couleurs qu’ils génèrent, tantôt expressionnistes par leur capacité à sonder les esprits.
De fait, les entrelacs des timbres de la guitare et du saxophone alto forment une colonne d’ADN dans laquelle les notes se déroulent au rythme de la vie elle-même. Pour s’en convaincre, l’écoute du morceau « La Muse Danse » est essentielle : jeux sur les cadres harmoniques, constamment déplacés, accents sur des notes qui ne sont plus des « cibles », tant elles sont mouvantes et paradoxalement en place, sans oublier l’essence du jazz, les « questions and answers » toujours renouvelées. Il suffit de se laisser caresser par le souffle de Géraldine Laurent, et d’être transporté par la guitare de Cyril Achard (ici proche du luth, tropisme méditerranéen oblige), pour enfin RESPIRER. Car si « Visitation » il y a dans ce duo, elle se situe aux antipodes de la mythologie chrétienne et tend à l’universel.