Chronique

Didier Petit

Don’t Explain

Didier Petit (violoncelle, voix)

Label / Distribution : Buda Musique

Il y a huit ans, Didier Petit publiait sur le label La Nuit Transfigurée un album solo : Déviation, composé de trois « faces » de trois morceaux chacune. À son tour, Don’t Explain compte trois faces - c’est même son sous-titre -, et cela mérite qu’on s’y arrête un instant.

Trois faces pour un objet en deux dimensions (le CD), voilà qui nous rapproche des concepts explorés par l’album Wormholes : les « trous de ver » qui font communiquer plusieurs espaces-temps.
Trois faces, tels ces miroirs qui vous reflètent sous tous les angles.
Vision circulaire d’un artiste dont la musique transperce les plans de clivage. Don’t explain.

Tout violoncelliste, raconte Didier Petit dans le livret, rêve de jouer les « six suites » de Bach. Ces six faces - Déviation et Don’t Explain -, ces deux miroirs communicants, sont ses six suites à lui.
Pour se permettre pareille référence, il faut en avoir sous la semelle… De fait, notre homme en a. Baroudeur des musiques en tous genres, évadé du Conservatoire, défricheur de musiques buissonnières, il garde tout, ne renie rien. Son violoncelle porte toute l’histoire, toutes les histoires et les géographies de la musique : Pau Casals et Sun Ra, le baroque et les chants pygmées, les pentatoniques japonaises et les modes arabes… et son miroir à trois faces reflète, façon cubiste, différents plans dans une même image sonore.
Une image mouvante, émouvante, et d’une extrême cohérence esthétique en dépit d’un éclectisme forcené - l’important c’est d’aimer - qui fait voisiner Billie Holiday avec Mercedes Sosa (« Alfonsina y el Mar ») et les neiges de Minneapolis [1] avec la « Tour de Babel ».

Si tout cela marche ensemble et nous bouleverse, ce n’est pas seulement à cause du son brûlant du violoncelle joué, pincé, frappé, caressé, flûté même sur « Ritournecelle », et d’une voix poignante où l’on croit retrouver le frottement de l’archet sur les cordes. Ce n’est pas seulement parce que les mélodies sont simples et belles, ni parce que les « interludes rituels » nous rappellent, par trois fois, au recueillement. Ce n’est pas seulement grâce à une prise de son et un mixage magistraux.
Si l’on est touché au plus profond par Don’t Explain, c’est parce que Didier Petit a su projeter dans cette œuvre une somme d’émotions qui dessinent un être sensible parfaitement intelligible. Un être complexe et paradoxal où chacun peut reconnaître son propre reflet, ou celui d’un humain qui nous ressemble comme un frère.

par Diane Gastellu // Publié le 29 novembre 2009
P.-S. :

Comme si cela ne suffisait pas, le livret est un livre d’art miniature : textes de Francis Marmande et Théo Jarrier, photographies et oxydations de Jean-Yves Cousseau. De quoi vous convaincre de ne pas vous contenter d’une copie audio téléchargée.

[1L’album y a été enregistré, dans le mythique studio Creation Audio.