Chronique

Dinamitri Super Combo

Mappe Per l’Eden

Label / Distribution : Felmay

Imaginez, en France par exemple, que deux orchestres majeurs décident de se mettre ensemble, le temps d’un disque. Archimusic et le MegaOctet, par exemple, l’avaient déjà fait, mais la chose et rare et plutôt synonyme de gourmandise pour l’auditeur. C’est ce à quoi nous invite Mappe Per l’Eden, titre évocateur de l’album du Dinamitri Super Combo, enclise du Dinamitri Jazz Folklore du saxophoniste Dimitri Grechi Espinosa, à qui l’on doit il y a quelques années le très intéressant La società delle Maschere, très influencé par la musique africaine, et Super Combo, l’orchestre de la contrebassiste Silvia Bolognesi, exégète de Braxton et comparse de longue date de Tomeka Reid. On entend la parfaite fusion entre ces univers dans les premières seconde de « Umanitá », où la contrebasse et la batterie d’Andrea Melani lancent une belle tournerie aux atours africains, bien appuyée par une lourde armada de saxophones barytons (Beppe Scardino, Rossano Emili). Ils permettent à chaque membre de l’orchestre de rentrer dans le cercle, à l’instar du magnifique jeu de trombone de Tony Cattano qu’on a pu entendre avec Kenny Wheeler ou Giancarlo Schiaffini. Le morceau grossit comme un fleuve en crue, se charge de groove avec une excitation grandissante, notamment grâce à l’arrivée en force du guitariste Gabrio Baldacci et du percussionniste Simone Padovani.

Ces deux orchestres se connaissent très bien, partagent des musiciens communs et font vivre une certaine tradition du grand format, notamment celle de l’Instabile Orchestra ; on remarquera d’ailleurs, outre le baryton d’Emili, la présence du violoniste Emmanuele Parrini. C’est sur « Eden is My Home », sorte de précipité des choix esthétiques de l’album, qu’on remarque le plus les interventions de ce dernier, dans une fin de morceau plus abstraite où son solo fait merveille comme pour faire atterrir le Dinamitri Open Combo dans son nouveau monde. L’orchestre se métamorphose en une sorte de forêt luxuriante et plutôt accueillante que le saxophone chaleureux d’Espinosa parcourt en défricheur. La musique du Dinamitri Super Combo est une machine huilée et efficace qui connaît parfaitement la marche à suivre, fruit sans doute des habitudes extrêmement scénarisées du Dinamitri. On est, avec cet album sorti sur le label Felmay, dans une chasse au trésor, une carte secrète qui se dévoile au fur et à mesure et conduit vers un Eden, un paradis à découvrir qui semble se nourrir de plus d’un folklore imaginaire, et où les réfugiés seraient bienvenus, voire attendus (« I’m a Refugee/Hope »)

On peut noter avec Mappe Per L’Eden la forte influence de la Creative Music américaine, et notamment de Chicago, dans le jazz contemporain italien. Évidemment, la présence de Silvia Bolognesi dans la version XXL de l’Art Ensemble of Chicago pour leurs 50 ans en témoigne, mais au-delà de ça, il y a une couleur et un élan que l’on retrouve par exemple dans les orchestres de Rob Mazurek et Khalil El’Zabar. Mais ce sont aussi des ponts anciens qui se créent au delà de la simple péninsule italienne, pour pousser jusqu’à l’Europe Centrale : avec « Slide Me on The Moon » et le beau spoken word du chicagoan Alan Griffin Rodriguez, on s’approche des expériences du Kollektiva d’István Grencsó avec Lewis Jordan ou de Papanosh avec Roy Nathanson. Une sorte de fraternité qui anime des musiciens qui mettent l’Eden à la portée de quiconque a des oreilles et accepte de s’en servir !

par Franpi Barriaux // Publié le 31 octobre 2021
P.-S. :

Tony Cattano (tb), Cristiano Arcelli (as, ss, fl), Piero Bittolo Bon (as, cl, fl), Dimitri Grechi Espinosa (ts), Rossano Emili, Beppe Scardino (bs), Emanuele Parrini (vln), Gabrio Baldacci (g), Pasquale Mirra (vib, perc), Paolo « Pee Wee » Durante (clv), Silvia Bolognesi (b), Andrea Melan (dms), Simone Padovani (perc), Griffin Alan Rodriguez (voc)