Chronique

Dry Thrust

The Less You Sleep

Georg Graewe (org), Martin Siewert (eg, elec), Dieter Kern (dms).

Label / Distribution : Trost Records

Forcément atypique puisque constitué d’un orgue, d’une guitare électrique et d’une batterie, le trio Dry Thrust l’est à plus d’un titre. Réunissant trois musiciens de la scène improvisée et expérimentale allemande (Georg Graewe et Martin Siwert) et autrichienne (Dieter Kern), le trio n’est d’aucune obédience et semble, au contraire, jouer non sans déplaisir d’une transversalité esthétique aux contours toujours changeants.

Si l’organiste est connu pour son jeu de piano (il a joué avec Anthony Braxton, Evan Parker, Marilyn Crispell, Dave Liebman, Barre Phillips etc.), sa pratique de l’orgue est ici exclusivement propre à l’instrument. Il joue sur des variations d’intensité, utilisant à plein des potentialités dont il sait tirer parti et qu’il confronte surtout à la guitare de son partenaire.

Ce dernier, qui de son côté joue avec Elliott Sharp, Ken Vandermark ou Wolfgang Mitterer, en a une approche nerveuse et bruitiste complétée par des effets électroniques maîtrisés qui ne l’empêchent pas de placer quelques traits saillants au besoin. L’association des deux fonctionne naturellement. Entre un son arrondi et enveloppant pour l’un et une attaque fortement texturée pour l’autre, l’équilibre est trouvé dans cette partition largement improvisée dont le minimalisme initial, en s’auto-alimentant, finit par produire de petites architectures bringuebalantes animées par une batterie fureteuse.

Derrière ses fûts, le batteur, entendu aux côtés de Mats Gustafsson et d’anciens groupes de rock comme Fuckhead ou Bulbul, assure une dynamique qui toujours va de l’avant par des frappes en tous sens, sans négliger des ponctuations coloristes et les climats posés. Cherchant le contre-pied et la déstabilisation, il assure une part supplémentaire de la déconstruction permanente d’un trio qui semble être une utopie sonore : les trois musiciens jouent, en effet, comme de manière séparée, comme s’ils ne s’écoutaient pas, mais finissent pourtant par délimiter un territoire large et captivant, fertile de nombreuses propositions. Quand sur la fin de ce disque subtilement construit, ils en viennent à se lancer dans des joutes rapides où les traits se croisent et s’entrechoquent dans des courses-poursuites sans frein, on se dit que, non décidément, on n’est pas près de dormir.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 25 juin 2023
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