Chronique

EKL

Dolores

Christoph Erb (ts, ss), Raphael Loher (cla), Emmanuel Künzi (dms)

Label / Distribution : Veto Records

Fer de lance d’une scène helvétique qui paraît produire un nouvel improvisateur chaque mois, Christoph Erb gère son label Veto Records avec beaucoup de cohérence. Les rencontres transatlantiques sont éditées dans la collection Exchange ; quant aux expériences strictement helvétiques, plus ténébreuses, électriques ou rétives à tout classement, la maison-mère leur est grande ouverte. Les exemples sont nombreux et le spectre large. Le trio EKL, où Christoph Erb s’allie au claviériste Raphael Loher et au batteur Emmanuel Künzi, semble se placer au mitan de celui-ci. Pas franchement bruitiste, même si « Dolores » s’extrait d’un épais brouillard fait de cliquetis de Wurlitzer et de feulements de cymbales, et pas totalement versé dans une joute Free, même si « Lola » est un remarquable dispositif de tensions où Loher, comme Künzi, fait parler un jeu fort percussif.

Rien d’étonnant à ce que deux prénoms illustrent l’étendue de Dolores. Les sept morceaux de l’album sont contrastés mais se présentent comme une galerie de portraits volés, d’instants fugaces ou de couleurs délavées, imprégnés de souvenirs déconstruits ou parcellaires. C’est notamment le cas de « Rose Dolores », où le soprano d’Erb sillonne le dialogue piano-batterie d’une sorte de va-et-vient entre la note tenue et le silence. Le saxophoniste ne se situe pas en position de leader. Au contraire, il joue parfois de manière très ténue. Il est la ponctuation soufflante et sifflante du dialogue de ses compagnons.

Le trio souligne l’excellence de la jeune garde suisse. Tous les deux ont bénéficié de l’expérience de Gerry Hemingway, dont l’ombre plane sur ce disque. « September 15th », où le roulement de guingois de Künzi imprime un mouvement chancelant au saxophone en est le parfait exemple. La musique est complexe et néanmoins immédiate, elle ne tient qu’à un fil et nous maintient en alerte. Une grande maturité qui trouve sa quintessence dans l’étrange indolence de « Do Lo Re », aussi diaphane qu’une pluie de printemps.