Chronique

Samuel Blaser, Benoît Delbecq, Gerry Hemingway

Fourth Landscape

Samuel Blaser (tb), Benoît Delbecq (p, synth), Gerry Hemingway (dms, perc).

Label / Distribution : Nuscope Recordings

Fourth Landscape est un exemple vivant, palpable – à entendre cette musique, on a envie de la toucher - de plongée dans le monde secret de la suggestion, à l’initiative de trois musiciens explorateurs qu’on sait capables de composer des motifs subtils et de maîtriser une conjugaison complexe : celle qui mêle écriture et improvisation. Trois sculpteurs de matière sonore au service d’une musique dansant sur le fil ténu de ces émotions qui tiennent les sens en éveil parce que chaque seconde doit être inventée et devenir la source d’une découverte collective.

Samuel Blaser, Benoît Delbecq et Gerry Hemingway se connaissent bien ; on les trouvait déjà sur A Mirror To Machaut (Songlines) qui, sous la plume du tromboniste, mettait au jour le répertoire de Guillaume de Machaut, écrivain et compositeur français du XIVe. Pour cette célébration, il avait convié les mânes d’un autre Guillaume du Moyen-Âge tardif, Dufay. C’était sa deuxième incursion dans des musiques qui nous semblent (à tort) lointaines, puisque quelque temps plus tôt, il avait partagé sa perception de Monteverdi avec Consort In Motion. L’occasion pour lui de travailler avec Paul Motian, batteur lui aussi reconnu pour sa faculté de suggérer plus que d’asséner, et dont la disparition, peu de temps après, l’amènera à collaborer avec un autre Américain, Gerry Hemingway. Connu notamment pour avoir longtemps joué aux côtés d’Anthony Braxton, autre grande figure des musiques improvisées, celui-ci se caractérise par sa grande musicalité et la variété de ses timbres. Pour finir, Benoît Delbecq avait mis dans A Mirror To Machaut, dont il était le producteur, toute la précision, voire la méticulosité qui le caractérisent au service d’une musique limpide et très mélodique.

En exergue de l’album (Nuscope Recordings), une citation de Max Roach : « Je me moque bien de savoir de quel instrument vous jouez. C’est le motif qui est la clé de toute création artistique. » On ne sera donc pas surpris de découvrir les paysages diaphanes sur lesquels Fourth Landscape lève le voile - une musique à l’architecture à la fois complexe et fluide et où chaque détail compte, même imperceptible, un recueil de compositions doucement mouvantes, un peu comme la surface d’un lac à peine troublée par le jet d’un caillou. L’une d’elles s’intitule d’ailleurs « Ricochets », tandis que deux autres sont des évocations de l’art pictural (« Couleurs » et « Outremer »), des variations de formes (« Toits et tuiles ») ou mettent en avant l’idée de suspension, de silence séparant les notes (« Entre parenthèses »). Cette suspension est peut-être ce qui définit le mieux ici les échanges furtifs entre les instruments : plutôt que d’aller à l’affrontement, il semblent désireux d’entamer une danse gracile et fluide aux motifs parfois entêtants (le piano préparé sur le premier mouvement de « Fourth Landscape »). La musique s’écoule, s’éloigne et revient avec grâce dans chacun de ses mouvements, l’instrument devenant une palette où les musiciens mêlent leurs couleurs afin de donner naissance à des formes à peine esquissées. Elles finissent par se mêler et former ainsi un quatrième paysage, celui d’un inconnu suggéré qui nous laisse libres de l’imaginer.