Chronique

Ensemble Nautilis

Regards de Breizh

Christophe Rocher (bcl, dir, comp), Nicolas Péoc’h (as), Vincent Raude (élec, fx), Philippe Champion (flh), Céline Rivoal (acc), Christofer Bjurström (p), Frédéric Briet (b), Nicolas Pointard (dms) + Jacky Molard (vln), Hélène Labarrière (b)

Label / Distribution : Innacor

A la lecture du titre de l’album de l’Ensemble Nautilis, big-band brestois dirigé par le clarinettiste Christophe Rocher, ancien du Circum Grand Orchestra, l’imagination divague (ce qui peut sembler normal sur la pointe atlantique). Regards de Breizh évoque moult bombardes et autre galettes-saucisse, bardes diwan et korrigans. Mais heureusement, le jeu de mots n’est là que pour situer géographiquement l’enjeu, car dans la musique de ce photo-concert comme dans l’œil du photographe Guy Le Querrec à qui l’hommage est destiné, il n’est nulle trace de clichés. Les images, en revanche, sont pléthore. Ce n’est pas le long « Carnet de noces » qui infléchira cette impression : la pulsation du batteur Nicolas Pointard et du contrebassiste Frédéric Briet y fait merveille avant d’être ensevelie par le spleen caractéristique du piano de Christofer Bjurström et le bugle lumineux de Philippe Champion . Ce dernier laisse énormément de place à l’imaginaire. On pourra même dire qu’il va parfois percer les âmes immobiles des photos dans un profond dialogue avec l’alto de Nicolas Péoc’h (« Diskan »)

Nautilis a peu évolué depuis son premier album : le violon a été remplacé par l’accordéon de Céline Rivoal, mais revient avec Jacky Molard qui a convié l’ensemble sur son label Innacor et se joint à eux avec la contrebassiste Hélène Labarrière. Ainsi, « La grande boutique » est un temps suspendu, abstrait, où la clarinette explore les basses en compagnie de deux archets ; une virgule, une transition telle une image en mouvement. On s’en doute, comme nous le confiait Rocher dans un documentaire vidéo, la démarche de l’orchestre est au départ fort descriptive, mais ne s’arrête pas au seul contexte de la prise de vue : l’électronique de Vincent Raude, la moitié d’Energie Noire avec Péoc’h, est là pour donner corps à une forme élaborée de narration (« Les Gestes »).

Le travail de Le Querrec y est pour beaucoup. Chacune des images sélectionnées dans le livret - qui fait de cet album un très bel objet - est bien sûr magnifiquement composée, proche du sujet, avec une grande dynamique, assez intemporelle en dépit de prises de vues datées entre 1972 et 1979. On a le même sentiment à l’écoute de la construction méticuleuse de « Marché aux bêtes », mené par une clarinette basse très en pointe. Avec Suite Africaine, les photos de Le Querrec allaient chercher l’altérité. Regards de Breizh enflamme le quotidien, le familier. Il en révèle tout autant d’aventures. La Bretagne de l’Ensemble Nautilis et du photographe de l’Agence Magnum est réelle, vivante et laborieuse, loin des fantasmes et des décors pour touristes. C’est celle qu’on aime.