Chronique

Floating Points, Pharoah Sanders & The London Symphony Orchestra

Promises

Sam Shepherd (p, synth, sampler), Pharoah Sanders (ts, voice), The London Symphony Orchestra

Label / Distribution : Luaka Bop

Cet album marque le retour de Pharoah Sanders, désormais octogénaire. C’est avec une collaboration étonnante que le ténor américain décide en 2021 de rompre un silence de presque dix ans. Depuis le début des années 1960, après John Coltrane, Sun Ra et Don Cherry, ses projets ont brillé entre free jazz habité et transe sacrée.

Ces quatre décennies de musique rencontrent, à Los Angeles en 2019, Floating Points, musicien britannique trentenaire, étoile de la musique électronique. Avant d’être compositeur et DJ, Floating Point, de son vrai nom Sam Shepherd, a travaillé dans le domaine des neurosciences, obtenant un doctorat sur le sujet de la douleur avant de se consacrer plus largement à la musique. Shepherd n’est donc pas seulement musicien par plaisir, il entend utiliser le pouvoir du son et de l’harmonie pour faire du bien aux autres. Lorsque sa route croise celle de Pharoah Sanders, il n’est pas étonnant que le créateur de l’album « Karma » sorti en 1969, puis de « Love Is Everywhere », ait été attiré comme un aimant. Lorsque deux âmes créatives se rencontrent, pourquoi parler de fossé des générations ? Pharoah Sanders a ces mots simples à propos de son cadet : « J’adore son jeu et son écriture ». Le reste est sensation.

Le disque serait resté classé « ambient » si son architecte sonore, Floating Points, n’avait pas eu l’idée de rechercher de vraies matières pour apporter le liant nécessaire à cette connexion entre deux ancrages diamétralement opposés. Ainsi, arrivent dans l’équation les cordes du London Symphony Orchestra, conviées pour une session studio en 2020. Là encore, la musique se heurte aux obstacles du monde réel. La pandémie de COVID explose. Lorsque les musiciens ont le droit de rentrer en studio, ils doivent jouer le plus éloignés possible des uns des autres. Tels des points… flottants. Ou lorsqu’une intention artistique prend son sens concrètement.

Les meilleures choses ont besoin de patience. Le projet imaginé par Shepherd aura demandé cinq ans de maturation avant de nous parvenir. Promises était attendu et propose in fine « seulement » 46 minutes de musique accordant une grande place au silence, à la lenteur, à la respiration et au temps nécessaire pour présenter neuf mouvements qui s’imposent en boucles hypnotiques jouées sur un clavecin et une foule d’autres claviers (piano, clavecin, Fender Rhodes, Hammond B3, Oberheim 4 voice & OB-Xa, Solina String Ensemble, Therevox ET-4.3, EMS Synthi, ARP 2600 and Buchla 200e). Leurs variations se redécouvrent, s’amplifient à chaque lecture du disque. Une leçon d’écoute, proche de l’univers d’un Julien Pontvianne (Kepler, Watt, Grand Ensemble Aum) pour l’Hexagone.

Ceux que trop de zen effraie, ceux qui ont besoin de tension dramatique, attendront…. D’abord le saxophone du « Mouvement 5 », riche, souple, si peu abrasif ou anguleux qu’il reconnecte davantage Pharoah aux années Alice Coltrane qu’à celles de John. Une ascension « point par point » réfléchie par Sanders. Puis l’échappée d’un violoncelle, rejoint par les seconds violons de l’orchestre du « Mouvement 6 », achève de convaincre. Lorsque les conditions d’écoute sont idéales, l’émotion est à son apogée et les promesses annoncées par le titre de l’œuvre semblent palpables. Cet album, messe pour le temps présent, réenchante l’espace imposé entre nos corps délaissés.

par Anne Yven // Publié le 11 juillet 2021
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