Chronique

Fred Hersch, Vince Mendoza & WDR Big Band

Begin Again

Fred Hersch (p), Vince Mendoza (dir, arr), divers musiciens

Label / Distribution : Palmetto Records

Fred Hersch avec le big band de la radio allemande : claque assurée ! Pianiste de l’intime, dont le lyrisme délicat se déploie depuis bientôt un demi-siècle, il fait preuve d’un sens de l’empathie avec un orchestre de 16 musiciens, qui rendent hommage à la densité émotionnelle de ses compositions, tant par leurs solos que par les traits d’ensemble. Vince Mendoza, chef d’orchestre multicapé (six Grammys, arrangeur pour Al Jarreau, Björk, Sting…) à la direction swinguante, a contribué à l’écriture des arrangements, qui bonifient le message du pianiste (ah ce trait d’orchestre basé sur « Lover Man » en coda de « Pastorale » : on en reste pantois !). Rythmiques de feu, cuivres en joie et mélancoliques , avec quelques accents free… le legs d’un Charlie Haden ou d’un Ornette Coleman, voire d’un Wayne Shorter s’est cristallisé, le temps de quelques sessions en studio à Cologne, durant l’hiver 2019, dans un maelström d’inventivité et d’émotions contrastées. Dans ce puzzle sensible, le piano devient orchestre dans l’orchestre, créant des mises en abyme somptueuses, convoquant délicatement des jeux de questions/réponses subtils (esprit de Monk es-tu là ?), tant avec la rythmique (quel batteur !) qu’avec les vents, dès le titre qui donne son nom à l’album.

Le répertoire aligne des monuments dansants, tel « Havana », trois temps de tueur, ou encore « The Big Easy », thème aux sonorités New-Orleans, sur lequel les solistes s’en donnent à cœur joie pendant que la tendre prégnance du jeu du leader déploie des trésors de jazz vital. Sur « Out Someplace », blues dédié à la mémoire de Matthew Sheppard, gay assassiné par des abrutis en 1998 du fait de son orientation sexuelle, le travail de déconstruction/reconstruction permet de suivre la descente aux enfers du meurtre ainsi que le processus de résilience qui a suivi (Hersch a d’abord raconté les faits sordides à l’orchestre). De même, sur « The Orb », le pianiste nous donne à ressentir tout l’effroi dans lequel son compagnon était plongé lorsque, en 2011, plongé dans le coma, il faillit être emporté par une grave infection pulmonaire, sans oublier de terminer de façon joyeuse, manière de lui signifier sa gratitude pour sa guérison.

Du jazz pour la « caring class » donc, ces populations qui prennent soin de l’Autre en ces temps de violence extrême des classes dominantes, et dont Fred Hersch déploie la bande-son comme une banderole poétique.

par Laurent Dussutour // Publié le 17 janvier 2021
P.-S. :

Personnel détaillé sur le livret