Chronique

Hannah Marks

Outsider, Outlier

Hannah Marks (b, voc), Sarah Rossy (voc), Nathan Reising (as), Lee Meadvin (g), Lex Korten (p), Connor Parks (dms).

Label / Distribution : Out of Your Head Records

Vous prendrez bien un peu de grunge dans votre jazz ? Jeune bassiste new-yorkaise talentueuse aux influences marquées (elle cite Larry Grenadier et Charlie Haden comme modèles, elle a eu Harish Raghavan comme professeur), Hannah Parks est passée par le Banff avant de proposer Outsider, Outlier en sextet. Ce melting-pot surprenant permet que se croisent, entre quelques fulgurances nées du free, des débords électriques influencés par la noise et le punk-rock, à l’image de « No Way Out » où le son très travaillé de la basse et les fausses pistes bruitistes à la Primus donnent à cet orchestre une couleur radicalement changeante, entre pénombre et aveuglement.

Cette esthétique doit d’abord beaucoup à la chanteuse. La Canadienne Sarah Rossy est phénoménale dans cet orchestre. De « (I Wanna Be Ur) 90’s Girl » qui ouvre l’album comme on remonte le temps, jusqu’à l’intense « Outsider Outlier », c’est au premier abord elle qui dessine les climats et les habite, bien aidée en cela par une bassiste vigilante. Avec le morceau-titre, sa voix caresse avant de mordre, à la limite de la rupture ; mais en y prêtant attention, on prend la mesure de l’effort collectif, de la tension omniprésente entre une basse électrique des plus sèches et la batterie colérique de Connor Parks, déjà entendue chez Kalia Vandever. On mettra d’ailleurs dans un coin de notre tête cette tendance, légère peut-être mais bien réelle, de ces jeunes musiciennes (Parks, Rossy, Vandever…) à mâtiner de nombreuses influences pour coller au plus près de leurs envies. On s’en réjouira : avec « Graduation », le piano de Lex Korten et l’alto de Nathan Reising emmènent Orphée aux enfers en faisant galoper Parks, passée à la contrebasse.

Ce premier disque de Hannah Parks est un objet mutant qui ravit la plupart du temps et peut laisser parfois perplexe, notamment lorsque le parti pris très pop prend le dessus (« I Will Ask Anyway »). Mais en réalité, c’est d’abord un disque très mature de la part d’une jeune artiste aux idées très arrêtées qui ne s’interdit rien. Les plus quinquagénaires d’entre nous s’amuseront des clins d’œil aux nineties présents çà et là, en se disant qu’on aurait écouté cette musique avec avidité à l’époque ; alors pourquoi s’en priver maintenant ? On notera également que le label Out Of Your Head Records frappe encore une fois fort pour découvrir les bassistes qui comptent, après Nick Dunston et Mali Obomsawin l’an passé !

par Franpi Barriaux // Publié le 29 octobre 2023
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