Scènes

Irène + Ben Syversen Trio


Il y a dans les concerts surprise le charme de l’inédit et du secret, le sentiment de partager un moment d’intimité avec les musiciens. On respirait ce 29 juin 2011, dans la petite cave du « 3 pièces », haut lieu de la musique vivante à Rouen, ce parfum de privilège en descendant simplement le petit escalier de briques…

Venus pour découvrir le jeune trompettiste étasunien Ben Syversen et son trio pour leur première date en France, les habitués des Soirs d’été eurent le plaisir et la surprise de découvrir le quartet Irène s’installer sur scène…

Desprez, Durant, Edouard © F. Barriaux

Ce jeune groupe du collectif Coax accompagne en effet Cracked Vessel, le trio de Syversen, dans ses dates parisiennes après l’avoir entendu à New York. Le quartet se retrouve donc ici aussi en première partie pour jouer sa musique très profonde dans une pénombre propice aux sinuosités électroniques de Clément Edouard, impressionnant derrière ses machines. Irène étonne beaucoup par sa densité et sa faculté d’assembler les énergies et les dérives bruitistes.

Sébastien Brun trouve avec autorité des polyrythmies qui posent le groupe sur ses fondations tout en restant sur la fragile crête de l’urgence pour se donner l’illusion de l’instabilité. Julien Desprez, créatif et acerbe, impressionnant, assène des flots d’électricité qui semblent traverser son corps avant de s’échouer avec fracas dans les amplis… Quant à Yoann Durant, son jeu chaleureux privilégie le souffle sans s’interdire de soudaines virulences, le tout parfois de manière très poétique lorsque il couple le bec de son ténor à un tuyau de chantier qui taraude la masse musicale et apporte de la légèreté aux plantureuses formes d’Irène. Mêlant les morceaux déjà parus et ceux de l’album à venir l’hiver prochain [1], le quartet s’impose déjà comme un incontournable de la jeune scène française.

Naylor, Syversen © F. Barriaux

Après quelques minutes de pause, le temps que la cave assimile tous ces décibels, le trio de Ben Syversen bondit sur scène. Son Cracked Vessel [2] acrimonieux évolue dans un univers où Luis Lopes aurait croisé Dave Douglas. Le son de Syversen, très pur, transperce la masse créée par ses deux comparses en cherchant parfois la confrontation directe, principalement avec le guitariste, dans des joutes pleines d’énergie ; il sait aussi aller aux limites de l’instrument avec un très gros son quand il convient de surenchérir avec Xander Naylor… Car ce dernier, clé de voûte du trio, travaille le son avec énergie grâce à un jeu de pédales très recherché - et surtout très efficace ; son jeu étendu cherche à la fois la tension rythmique dans l’attaque sèche de ses cordes et l’acidité de la distorsion.

A la batterie, Jeremy Gustin se déchaîne. Entre Naylor et lui, la complicité remonte loin, jusqu’au groupe de Rex Hussmann, The Rex Complex. Il porte à ébullition le propos du trio dans un jeu très dur où les limites ténues avec le rock s’effacent à mesure qu’il multiplie les fausses pistes et intensifie sa frappe. Les compositions de Cracked Vessel, très écrites (par Sylversen), sont souples, contemporaines et directes. S’il est encore peu connu en Europe, ce pur produit de Brooklyn ne devrait pas tarder à se faire un nom.