Chronique

Jessica Pavone

Clamor

Katherine Young (bsn), Aimée Niemann, Charlotte Munn-Wood (vln), Abby Swidler, Jessica Pavone (vla), Mariel Roberts (cello), Shayna Dulberger (b).

Label / Distribution : Out of Your Head Records

Un peu plus d’un an après nous avoir enchantés avec Lull et un autre projet solo, la grande altiste étasunienne Jessica Pavone revient avec une œuvre radicalement différente mais tout aussi ambitieuse. Loin de l’électronique et de l’électricité qui émaillaient ses derniers disques, c’est l’organique qui détermine l’énergie de Clamor, avec un sextuor à cordes auquel s’ajoute ponctuellement le basson de Katherine Young. Ce n’est pas la première fois que la jeune soufflante participe à la musique de Pavone, on l’a entendue déjà en compagnie de Carl Testa et de l’altiste. C’est aussi une musicienne régulière d’Anthony Braxton qui se trouve très à son aise dans ce Clamor très codifié où l’improvisation reste dirigée par des consignes fermes, en termes de temporalité et de timbre. En témoigne la longue pièce en deux parties « Nu-Shu » où le basson intervient en soliste, prenant toute la place avant d’être érodé par les cordes en proie à un besoin de liberté. Une échappée tenace, subtile mais inéluctable, qui se gagne à petit pas. Une métaphore.

La volonté de Jessica Pavone et du sextet de cordes dans ce Clamor est de célébrer la liberté des femmes. C’est un combat constant qui s’illustre dans le corps-à-corps spectral du basson et des cordes au cœur de la première partie de « Nu-Shu » ; elle s’incarnera davantage encore lorsque, dans la seconde partie, Abby Swidler et Jessica Pavone s’offriront des solos d’alto à la raucité délicieuse. Pour ce disque, Pavone s’appuie sur une partie de son habituel String Ensemble, où l’on retrouve la violoniste Aimée Niemann. Passé en sextuor, l’orchestre s’est notamment augmenté de la violoncelliste Mariel Roberts, qu’on avait pu entendre dans Folie à Quatre. Sur « Bloom », elle propose une couleur foncièrement différente, une sorte d’insouciance acquise prête à essaimer mais résolument impermanente, lestée par une pâte orchestrale chargée de tourments.

La clé de Clamor est le premier morceau, « Neolttwigi », jeu féminin emblématique de la Corée, balançoire horizontale où l’on saute pour élever l’autre protagoniste en faisant contrepoids [1], ce qui permettait aux jeunes filles de voir au-delà des hauts murs des bâtisses où elles étaient recluses. Des hauts et des bas, un mouvement pendulaire, un équilibre de chaque instant, voilà tout le propos de Jessica Pavone dans un disque qui la désigne encore une fois parmi les plus aventureuses compositrices de son époque.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 janvier 2024
P.-S. :

[1Ici, on appelle ça prosaïquement le « tape-cul ».