Chronique

L’Ocelle Mare

Engourdissement

Thomas Bonvalet (g, banjo, harm, lames d’harmonica, orgue à bouche, diapason, plectre de pavot sec, p, microphone, métronome)

Label / Distribution : Souterrains-refuges

Sous l’entité de L’Ocelle Mare, le guitariste Thomas Bonvalet creuse depuis 2005 le sillon d’une musique exclusivement acoustique, dépouillée et brute. Ce qui frappe, c’est la radicalité du propos : morceaux extrêmement courts, généralement en-dessous des deux minutes, effacement des structures mélodiques, obsession pour les motifs percussifs miniatures, économie de notes, mise à nu des résonances.

Remarquablement enregistré en milieu naturel par Adrian Riffo, tout comme le précédent (Porte d’octobre), ce troisième album solo s’enracine plus profondément à la terre. L’Ocelle Mare met l’auditeur en présence d’un chant de la nature. Il travaille à la disparition du geste musicien, comme si l’homme derrière les instruments, le technicien, n’était plus que le filtre de la manifestation des éléments. On imagine des cordes abandonnées qui vibrent au vent, des bois qui tombent et s’entrechoquent, on entend des crépitements de flammes, des écoulements d’eau, des pas sur les feuilles.

A la différence d’une école minimale qui recherche, à travers des techniques étendues, à créer des sons inouïs, L’Ocelle Mare s’obstine à creuser une grammaire primitive, à ronger les viandes grasses des idiomes. Il n’en garde que l’os, qu’il sculpte et affûte. Ce qu’il invente est comme le balbutiement d’un langage musical dont la force tient dans la puissance du cri : accords plaqués qui résonnent dans la nuit, ululements d’harmonica, simple note dont les harmoniques se perdent sur le battement d’un métronome mécanique. Engourdissement est une recherche du geste premier, du son premier.

Il est difficile de rattacher L’Ocelle Mare à un quelconque courant actuel. Après avoir œuvré, dans un registre avant-rock virtuose, au sein du duo guitare-batterie Cheval de Frise, Thomas Bonvalet semble désormais se situer aux confins de la brèche béante ouverte par Derek Bailey.

Rarement, avec une telle économie de moyens, musique aura été aussi puissante, traversée de tels tellurismes. Ensorcelant.