Scènes

Lakecia Benjamin, la conquête d’Aix

Lakecia Benjamin et son quartet ont conquis Aix-en-Provence.


Lakecia Benjamin Quartet © Patrick Martineau

La cour de l’hôtel particulier Maynier-d’Oppède dans le centre de la « belle endormie » est complète pour Lakecia Benjamin Quartet en ce 10 juillet 2023. Certes, la jauge est limitée, mais la trop rare présence de la saxophoniste américaine dans l’Hexagone n’est pas étrangère à la présence d’un public diversifié, entre jeunes gens participant à l’orchestre des jeunes de Méditerranée et personnes d’un âge plus vénérable pensant écouter son répertoire coltranien. Si les premièr·e·s avaient accès au concert gratuitement ou à un tarif modique, les second·e·s n’ont pas hésité à débourser 50 €. C’est que le Festival d’Aix-en-Provence, dans le cadre duquel est organisé l’évènement, est plutôt destiné un public bien pourvu en capital (culturel mais pas seulement…), nonobstant les efforts de la structure pour développer « l’action culturelle » et une programmation jazz.

Lakecia Benjamin/Ivan Taylor © Patrick Martineau

Lakecia Benjamin sait satisfaire les deux composantes du public. La première partie du set comprend principalement des titres issus de son nouvel album, Phoenix, célébrant - elle le rappelle - la place des femmes dans l’histoire des musiques afro-américaines. D’emblée, elle rappe sur « Amerikkkan Skin », non sans oublier de balancer un solo de saxophone alto dont la teneur élevée en blues résonne de la colère contenue dans l’appellation du morceau. Sur le disque, ce titre présente un sample d’un discours d’Angela Davis.
Elle continue d’ailleurs avec un autre morceau partiellement « rappé », dont la poétesse militante des droits civiques Sonia Sanchez a écrit les paroles : « Peace Is A Haiku Song ». Le dialogue du saxophone avec le piano y atteint des sommets d’émotion par la fausse simplicité sur laquelle il est construit. Le pianiste Zaccai Curtis sait y faire en la matière, puisqu’il a étudié au sein de l’institut Jackie McLean. Ses citations (« Work Song », « Feeling Good ») rappellent les ferments populaires de cette musique. Dans cet ordre d’idées, la leadeuse et son pianiste se lancent dans une interprétation joyeusement enfantine, et revendiquée comme telle, de « Amazing Grace ».

La suite s’ouvre sur l’hommage à Coltrane annoncé par l’organisation. « My Favorite Things » prend un sérieux coup de lifting : cette table périodique des éléments du jazz contemporain revêt des accents soul.
La rythmique s’en donne à cœur joie. E.J. Strickland, plus qu’orchestral, balance des bombes à faire danser le public, également sollicité par le jeu de contrebasse fondant à souhait d’Ivan Taylor. Un duo saxophone / batterie comme en écho aux performances de Coltrane avec Elvin Jones prend, lui, des allures d’émeute.
Ce concert se termine avec une grosse dose d’amour : la suite « A Love Supreme », traitée en mode afro, est livrée comme un hymne à la sororité et à la fraternité universelles, depuis l’introduction où la saxophoniste sonne l’alarme jusqu’au climax lorgnant vers la transe.