Chronique

Marc Ducret

Palm Sweat : Marc Ducret Plays The Music of Tim Berne

Marc Ducret (g, eg, percussion, vx), Sylvaine Hélary (fl), Christiane Bopp (tb), Bruno Ducret (vcl, vx), Fabrice Martinez (tp)

Label / Distribution : Out of Your Head Records

Tandis que, ces derniers temps, les propositions musicales autour de la musique de Tim Berne se multiplient, démontrant l’importance du saxophoniste dans notre contemporanéité, Marc Ducret se plie à son tour à l’exercice. De la même génération que Berne, compagnon de route depuis au moins trente ans, avec qui ils ont défriché quelques terres brûlantes (de Caos Totale à Big Satan) et dans une estime mutuelle, le guitariste ne pouvait faire autrement que de proposer un programme hors les clous.

À partir de partitions, parfois parcellaires, que le saxophoniste lui a envoyées, Ducret tire un matériau neuf. Jeu de renversement par des mélodies devenues lignes de basse, constructions harmoniques poussées loin, réorganisation instrumentale, les outils musicaux à disposition ont tourné à plein régime pour honorer cette commande, troublant, de fait, le sens même du mot réinterprétation. À quel moment, en effet, une pièce palimpseste prend-elle un caractère original dès lors qu’elle fait sienne avec autant d’emprise l’œuvre à laquelle elle est censée faire référence ?

On peut parfois apercevoir les compositions de l’Américain à travers celles jouées par le Français, les soupçonner tout au moins, car dans la mesure où elles n’ont, pour certaines, jamais été entendues ailleurs, il est difficile de les distinguer clairement - d’autant que les proximités stylistiques entre les deux musiciens sont extrêmement poreuses. L’intérêt du disque réside tout entier dans ce jeu de correspondances effacées et le montage global qui en est fait. Marc Ducret parvient, de fait, à monter un répertoire qui voit se succéder différentes pistes, certes, mais qui sont les étapes d’un projet général.

A l’instar de Qui Parle ? (Sketch, 2003), qu’il évoque par bien des côtés, Palm Sweat propose un voyage en profondeur dans un univers parfaitement maîtrisé. Plaçant en exergue une guitare électrique puissante et solitaire qui s’entrechoque à elle-même dans une démultiplication ré-enregistrée soutenue par des percussions ponctuelles, le musicien joue avec son double, que ce dernier soit Tim Berne ou lui-même. Il fait apparaître ensuite, de manière subreptice d’abord, des soufflants (Fabrice Martinez, Christiane Bopp et Sylvaine Hélary) qui viennent élargir le spectre des couleurs et porter plus haut ce qui aurait pu passer pour un exercice onaniste. Peu à peu, se dévoile alors une architecture puissante et complexe d’une grande lisibilité. On y sent un jeu sûr de lui-même et la volonté d’être juste dans le propos. Le titre final, dans lequel intervient Bruno Ducret au violoncelle et à la voix et qui s’achève sur une musique post-folk, en est l’expression la plus aboutie.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 14 mai 2023
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