Chronique

Marcel et Solange

Marcel et Solange

Gabriel Lemaire (as, cla), Valentin Ceccaldi (cello, horizoncelle), Florian Satche (dms)

Label / Distribution : Autoproduction

Marcel et Solange est un étrange couple à trois têtes. Un jeune et talentueux trio originaire d’Orléans, couronné par plusieurs récompenses (3e prix au Concours de La Défense 2011, prix du Meilleur instrumentiste au tremplin d’Avignon 2011 pour le saxophoniste Gabriel Lemaire [1]), dont l’univers étrange et riche abrite des personnages fantomatiques et imaginaires qui se mélangent en volutes oniriques, comme dans un petit théâtre d’ombres chinoises itinérant.

La musique de Marcel et Solange allie abstraction chambriste assumée, notamment grâce à l’archet très disert de Valentin Ceccaldi, et virulence hardcore ; celle-ci s’inspire souvent du Big Satan de Marc Ducret par sa façon de capter l’énergie et de la faire sourdre, à peine contenue, dans les temps faibles. Lorsque la musique s’empresse, (le tempétueux « Solange »), c’est encore Ceccaldi qui porte le fer rougi de l’urgence. Les riffs assassins de son « horizoncelle », un violoncelle monté comme une basse électrique, conçu sur mesure par le luthier orléanais François Vendramini, traduisent une musique en constant mouvement.

Parfois (« Joe nie en bloc », sommet de l’album), les deux atmosphères s’entremêlent, le discours du violoncelle semblant se perdre, aspiré par un brouillard électrique sous les coups de boutoir de l’alto sablonneux. Tout au long de l’album, le violoncelliste, également compositeur de la plupart des morceaux, impressionne par sa maîtrise et son omniprésence positive, toute en écoute et en cohésion. Quand Gabriel Lemaire donne la direction à prendre (le nébuleux « Bruges »), l’archet apporte étrangeté et profondeur à cette plaine désolée, nappée de brouillard. Marcel et Solange prend le temps de la contemplation et c’est avec une jubilation manifeste que le groupe construit un paysage, fût-il minimaliste. Parfois une bombe éclate que l’on n’attendait pas (« Pâtes-Riz »), et c’est tout le récit qui est à rebâtir, avec un minutieux plaisir…

Dans ce ménage à trois, le batteur Florian Satche tient, à défaut de chandelle, une rythmique sèche et très colorée qui permet à ses comparses d’inventer des histoires. Il en impose le climat avec beaucoup d’inventivité, et le résultat peut être froid et brumeux (« Marcel ») ou bien orageux et bouillant (« Solange »), manière directe de poser ces figures au centre de leur musique, et de les incarner. Le nœud dramatique de ce petit théâtre se joue dans les deux parties de « Pâquerette ». Au centre de l’unisson entre l’alto et le violoncelle, le batteur fait peu à peu monter une tension constante qui s’évacue en rage dans le souffle heurté du saxophoniste. Lemaire est un conteur doué. Dans un rôle qui évoquera beaucoup celui de Robin Fincker dans Farm Job, il sait esquisser en quelques traits impressionnistes une figure ou une atmosphère qui semblent émerger d’une ombre épaisse vers la lumière. Ainsi se découvrent de nouvelles facettes dans un monde en constante évolution.

La maturité de Marcel et Solange réside dans cette faculté de transcender des historiettes sans paroles pour créer une troublante poésie de l’instant. On est captivé par le propos très dense d’un trio qui, sans doute, a mille autres histoires à nous narrer. En attendant, on se perd avec joie dans son univers poétique.