Chronique

Michael Mantler

For Two

Per Salo (p), Bjarne Roupé (g)

Label / Distribution : ECM

Michael Mantler est un musicien à ce point important que l’usage, paresseux, voudrait qu’on ne le présente plus. Sacrifions néanmoins à la redite en considérant comme un hommage cet énième récapitulatif de deux ou trois de ses hauts faits.

Une naissance autrichienne qui ne le maintiendra pas même vingt ans sur le vieux continent. Une jeunesse américaine pour en faire une sommité de l’avant-garde, dans ce qu’elle a de plus exigeant, sous le haut patronage de Cecil Taylor. Compagnon de Carla Bley jusque dans ses aventures de comédie musicale lacérée de free, il est aussi le fondateur d’une structure de distribution, d’un label, et d’une maison d’éditions musicales (WATT). Cinquante ans de vie créative et fureteuse liée au jazz, en petite et grande formation, électrique ou acoustique, mais aussi à la composition pour orchestres de chambre ou symphonique et même pour des formes proches de l’opéra.

Quelques lignes en guise de CV rapidement esquissé, marqué par la notoriété des intervenants et la variété des formes, mais qui ne disent rien ou presque de ce que peut être la musique de Michael Mantler. Et en effet la tâche est rude.

Que de la grande mosaïque de ses productions émerge un principe d’identité, voilà qui n’est guère contestable ; mais ce principe ne se laisse pas aisément découper en récurrences évidentes. Rares sont les tics musicaux chez un compositeur adepte de la surprise, refusant le balisage et aimant emmener les mélodies dans des endroits inattendus.

Disant cela, on avance.

Il faudrait sans doute dire aussi que, quels que soient la forme sous laquelle elle s’exprime, la mesure, ou l’épaisseur de l’instrumentation, la musique de Mantler ne se sépare jamais tout à fait d’une dimension hiératique propice au recueillement, même dans les moments les plus enlevés. L’honnêteté nous oblige aussi tempérer - à peine - cet enthousiasme en lui trouvant pourtant un goût un peu trop envahissant pour la virtuosité guitaristique. Au moins aux oreilles de qui a été élevé dans l’idée qu’abondance de notes de cordes nuit, voire s’approche de la faute de goût.

Mais on se soigne.
La preuve, on aime Mantler malgré tout.
Et son dernier album en date. Ce Music for Two où il s’efface – comme cela lui arrive en concert, lorsqu’il laisse la trompette à d’autres – derrière le pianiste Per Salo et le guitariste Bjarne Roupé, tous deux venus de Copenhague, où demeure Michael Mantler en alternance avec la France (le Nouveau Continent ne l’aura pas retenu plus de trente ans).

Per Salo vient du classique, joue Ravel, Messiaen ou Janacek et fréquente la musique de chambre. Chargé de la partie écrite, il enregistre seul les partitions de Mantler dans un studio du Vaucluse. D’une exécution plutôt sèche dans la lenteur et la mélancolie mêmes, privilégiant le staccato dans les passages plus rapides, son jeu appuie l’aspect très rythmé d’une composition non dénuée de pauses méditatives et poignantes, mais jouant beaucoup des répétitions en cadence.

Deux mois plus tard, c’est au tour de Bjarne Roupé, qui intervient… de chez lui. Ce guitariste suédois est un habitué de la galaxie Mantler pour avoir déjà joué avec et pour lui (sur Cerco Un Paese Innocente ou School of Understanding, par exemple). Cette familiarité lui permet d’improviser sur le piano enregistré sans jamais sortir de la musique mantlerienne. Imprévisible comme il se doit, sans fil conducteur évident, la guitare se balade, un peu au hasard, dans les espaces laissés par son prédécesseur. Au dynamisme presque austère de Salo, Roupé oppose un jeu fluide, délicat, liquide mais sachant se faire discret, ne pas s’infiltrer dans tous les espaces laissés libres par le piano. Une retenue appréciable - enfin surtout pour ceux élevés dans l’idée que l’abondance de notes de cordes nuit, voire s’approche de la faute de goût.

Une affaire de contrastes pour ces dix-huit duos, remarquablement équilibrés et gracieux.
Quelques notes de piano pour ouvrir le disque.
Presque autant de guitare pour le conclure avant une poignée de secondes de silence.
C’était beau.