Chronique

Noël Akchoté, Mary Halvorson

Mary Halvorson & Noël Akchoté

Noël Akchoté (g), Mary Halvorson (g)

Noël Akchoté invite la guitariste américaine Mary Halvorson sur vingt pièces enregistrées lors d’une rencontre certes préparée mais captée dans la fraîcheur des premiers instants. Également membre du Madrigals For 5 Guitars (du même Akchoté sur des compositions de Gesualdo), Halvorson côtoie depuis longtemps l’avant-garde américaine (disciple d’Anthony Braxton, elle joue avec Ingrid Laubrock, Ches Smith, Tony Malaby entre autres) et se frotte aujourd’hui, avec fraîcheur et un appétit de musicalité neuve, à un Akchoté dont elle reprenait par ailleurs une des compositions dans son solo Meltframe. De son côté, le guitariste délaisse ponctuellement la relecture systématique et solitaire de l’héritage occidental (de la Renaissance à Céline Dion en passant par le reggae, Stockhausen ou Jim Hall) qu’il poursuit depuis quelques années. La conjonction de deux individualités riches chacune d’une culture élargie fonctionne à plein régime, avec la guitare comme trait d’union.

Car l’instrument est bien évidemment à l’honneur. En quasi acoustique, le grain des cordes révèle une présence tangible même si le style de chacun est parfaitement identifiable. Les attaques dures d’Akchoté sur le métal ou les surprenants effets de pédale de Halvorson et la rondeur générale de sa sonorité offrent une véritable complémentarité à ce duo sans pour autant verser dans les clichés de ce genre de prestation. La répartition soliste/rythmique a, en effet, bien cours mais n’est pas systématique et se nuance de mille ornementations apportées à tous les instants. A l’une l’enchantement de résonances déviantes, à l’autre l’assise et l’assurance d’où surgissent parfois quelques fêlures ou coups de griffe. Entre les deux, les passages de relais se fondent dans la continuité d’un discours qui en tire alors tout le bénéfice quand ce n’est pas la superposition des deux voix qui enrichit considérablement des climats légers ou parfois plus nuancés.

En pleine possession de leur art, les musiciens se prêtent au jeu du chat et de la souris et semblent s’amuser à se poursuivre à l’intérieur de compositions parfaitement propices à ce genre d’amusement. La délicate pièce “Flowers (for Mary)” en est le plus parfait exemple, où Halvorson papillonne autour d’Akchoté qui lui fait la dédicace. La première partie du répertoire est, en effet, signé du guitariste qui montre là sa capacité à composer des titres aussi simples que parfaitement mélodieux et dans lesquels on reconnaît son penchant pour la pop comme pour la musique de la Renaissance (“Aber-lied” principalement). La deuxième partie fait la part belle à des compositions d’Ornette Coleman, Misha Mengelberg, Pat Metheny, Jacques Thollot ou reprend le standard “All The Things You Are”, montrant s’il en était besoin que tout terrain de jeu est un terreau fertile et que, sans se limiter au jazz, leur musique y converge inexorablement.