Chronique

Saitō, Griener, Roder

Wald

Taiko Saitō (vib), Jan Roder (b), Michael Griener (dms)

Label / Distribution : Trouble in The East

Il semble, pour tout musicien installé à Berlin depuis un certain temps et versé dans le jazz le plus libre et le plus ouvert, que le principe d’un trio avec le contrebassiste Jan Roder et le batteur Michael Griener soit en passe de devenir un passage obligé ; une sorte de carte de résident. Considérés à juste titre comme l’une des bases rythmiques les plus ahurissantes d’Europe, voire d’au-delà des mers, on les a entendus il y a peu de temps avec Céline Voccia. Les voici avec la vibraphoniste Taiko Saitō pour un trio aussi original dans la forme que farouchement sauvage, comme en témoigne « Ghosts of The Midnight » où la contrebasse de Roder tente de séparer, d’un archet inquisiteur, les frappes ardentes des deux percussions. On a le sentiment que tout ceci représente une petite famille berlinoise ; Roder et Griener sont en effet des musiciens inséparables qui ont leurs habitudes tant chez Rudi Mahall que chez Silke Eberhard… Tout comme Voccia et Saitō

L’interplay est dans ce Wald un mot d’ordre qui n’a pas besoin d’être énoncé : le trio file comme l’éclair, joue avec une télépathie qui tient du cerveau reptilien et avance droit devant, quels que soient les obstacles. « Typhoons and Windbreaks » démontre ainsi la complicité que lie Griener et Roder dans le tourbillon des prémices du morceau. L’archet est insatiable, la frappe est drue mais discrète. C’est le vibraphone de Saitō qui va souffler sur les braises par son jeu tourbillonnant et très subtil. Ce qui impressionne dans ce court album paru chez Trouble in East Records, c’est la capacité de la musicienne nippone à faire corps avec ses camarades. Les affinités percussives sont évidentes avec Griener, dont elle rehausse le jeu vorace, lui donnant beaucoup d’espace, mais le mimétisme dont elle fait preuve avec la contrebasse est aussi tout à fait saisissant. Le trio fait essentiellement corps, même dans « Snow Monster » qui débute par une contrebasse puissante et dissonante comme un ogre.

Qu’on ne s’y trompe pas, tout n’est pas que rugosité et prestesse dans ce trio où la finesse est largement de mise, notamment dans les échanges incessants et plus abstraits entre vibraphone et contrebasse (« Snow Monster » où Griener joue avec le métal de sa batterie). Ce concert enregistré au Topsi Pohl de Berlin en 2021 souligne une très belle rencontre. Par son intrumentarium rare qui met le vibraphone au centre, le trio de Wald nous fait pénétrer dans une forêt dense et remarquablement colorée où le talent brille de mille feux.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 avril 2024
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